Aujourd'hui, pour nourrir la bienveillance...

Dans un petit village au cœur de l’Irlande, durant les années trente, vivait un homme qui n’était pas baptisé. Cela paraît déjà invraisemblable : en Irlande tout le monde est baptisé et fréquente son Eglise, tout en refusant de fréquenter ‘‘l’autre’’ Eglise ; mais attendez la suite. Pendant ces années-là en Irlande, on ne sait que trop ce qu’est la pauvreté.

Mais cet homme-là, qui par extraordinaire n’avait pas été baptisé, était d’une générosité exemplaire. Vint la seconde guerre. Conscription et rationnement encore plus grand. On sut bientôt que chaque fois qu’un foyer manquait de pain, cet homme-là passait comme par hasard, laissant une miche de pain qu’il avait “en trop”. On s’aperçut bientôt que lorsqu’un deuil survenait ou qu’un soldat ne reviendrait plus, il prenait soin moralement et matériellement de la veuve et des enfants. On comprit rapidement, mais personne n’en parla jamais, que plusieurs jeunes du village qui voulaient échapper à la conscription dans l’armée anglaise, avaient trouvé refuge et cachette par ses soins… Peu après la fin de la guerre, cet homme aimé de tous mourut. Toujours non baptisé.

Tout le village vint voir le prêtre pour le supplier de l’enterrer.

« - Impossible ! Bien sûr que je voudrais bien, mais il est impossible d’enterrer chrétiennement un non baptisé, d’enterrer dans le cimetière chrétien un non chrétien, l’Eglise l’interdit !

- Allons, curé, un bon geste, personne n’en saura rien, cela restera entre nous ; celui-là était assurément un meilleur chrétien que nous tous, et peut-être même que vous…

- Oui, je sais, je sais, mais c’est impossible, et si je faisais une chose pareille, c’est moi qui perdrais mon job ! »

A la longue, ils trouvèrent un compromis : un office aménagé à l’Eglise, et, surtout, un enterrement juste à côté du cimetière catholique, juste de l’autre côté de la barrière… Ainsi fut fait.

Le lendemain matin, le prêtre se leva heureux, soulagé de ce judicieux compromis, et sortit voir la tombe toute fraîche juste sur le bord du cimetière… Mais là, surprise : pendant la nuit la barrière avait bougé, elle s’était déplacée de deux mètres et incluait maintenant la nouvelle tombe… Un miracle, sans doute ; à moins que certains villageois ne soient pas restés inactifs durant la nuit... Mais finalement le prêtre ne s’aperçut de rien.