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16 mars 2011 3 16 /03 /mars /2011 16:36

Béatitude 5 :

Heureux ceux qui ont pitié,

on aura pitié d’eux

  

La pitié, ce n'est pas vraiment la mode. Elle est pourtant au centre de notre Béatitude de ce jour. Mais plutôt considérée ringarde, je gage que cette cinquième Béatitude est la moins aimée, la plus vite lue et la plus vite oubliée des huit.

On n'aime plus la pitié, qui nous semble manquer de respect ; on n'aime pas la pitié, parce qu'on n'aimerait pas qu'on aie pitié de nous.

 

Et si nous avions tort ? Ne souhaitons-nous pas, discrètement mais profondément, que Dieu aie pitié de nous ? Et nous-mêmes, par exemple, n'avons-nous pas pitié de tous ces hommes et ces femmes brutalement tués par les polices libyenne ou yéménite, pitié aussi de leurs parents ou de leurs enfants ?

Au fond de nous, nous avons tous pitié. De celui-ci ou de celui-là, de ceci ou de cela, et même d'un chat écrasé au bord de l'autoroute... Tant mieux ! Parce que la promesse est là, dans les mots de Jésus, que la Bible Bayard traduit joliment ainsi : «  Joie des êtres compatissants, ils éveilleront la compassion ! »

Et c'est la seule des huit Béatitudes qui promet ce qu'elle demande : la pitié. Heureuxceux qui ont pitié, on aura pitié d'eux.

Mais sur quoi repose cette promesse d'un retour de la pitié éprouvée ? Sur une évidence :

penser aux autres autant qu'à soi, penser aux autres comme s'ils étaient soi, provoque presque toujours un retour.

Et nous comprenons qu'avec cette pitié, ce sentiment magnifique et nullement pitoyable, nous côtoyons le commandement d'amour : tu aimeras ton prochain comme toi-même, c'est-à-dire pas seulement autant que toi-même, mais en tant qu'il est toi-même. Tu éprouveras en toi ce que lui-même éprouve, comme si tu étais à sa place, comme Jésus l'a fait en venant habiter un corps et une vie humaine. Tu éprouveras ce que l'autre éprouve, tu te mettras à sa place, tu te sentiras à sa place, tu souffriras de ce qu'il souffre, sa douleur ou sa situation. Et c'est cela qui s'appelle pitié, ou compassion.

 

Exactement ce que Dieu a fait en Jésus.

Parce que la pitié, c'est précisément le sentiment de Dieu lui-même envers nous, quand ses entrailles se nouent pour son peuple ou pour chacun d'entre nous. En aucun cas un sentiment méprisable ni démodé... La pitié, c'est une vertu glorieuse !

C'est celle de Dieu.

C'est elle qu'implorent les psalmistes, de psaume en psaume.

C'est elle que Dieu éprouve chaque fois à nouveau dans le Premier Testament, et qui le fait revenir sur ses menaces de punition.

C'est elle qui s'installe au cœur du ministère de Jésus de Nazareth :

- les deux aveugles qui croisent Jésus, lui crient : « Aie pitié de nous, Fils de David », et Jésus est pris de pitié ;

- plus tard, l'aveugle Bartimée aura le même cri, et sera guéri ;

- les dix lépreux, eux aussi, s'écrient : « Jésus, Maître, aie pitié de nous ! » ;

- un autre lépreux s'approchera de lui avec foi, et Jésus sera rempli de pitié ;

- le père d'un jeune garçon épileptique demande à Jésus d'avoir pitié de son enfant, et Jésus lui répond ;

- la veuve qui vient de perdre son unique enfant ne demande rien, mais Jésus a pitié d'elle, s'approche, touche le cercueil, et l'enfant revit ;

- un collecteur d'impôts, qui se sait critiquable, s'adresse à Dieu lui-même, implorant sa pitié pour le pêcheur qu'il se sent être ; et il repart pacifié ;

- quand une Cananéenne sollicite sa pitié, Jésus aura pitié, et c'est elle qui lui montrera sans s'en douter qu'il est venu non seulement pour les Juifs, mais pour tous ;

- et quand la foule s'approche, avec toutes les maladies, les détresses et les infirmités qu'abrite une foule, le cœur de Jésus, rapporte Matthieu, se remplit de pitié ;

- ailleurs, quand une même foule a faim et que le soir tombe, à nouveau Jésus a pitié de tous ces hommes et ces femmes...

 

Une pitié au cœur du ministère de Jésus, qui est aussi au cœur de ses plus belles paraboles, quand le bon Samaritain ne fait rien d'autre, raconte Luc, qu'avoir pitié du voyageur blessé et détroussé ; ou quand le père du fils prodigue, en le voyant revenir, oublie son amertume parce qu'il est saisi de pitié. Une pitié qui s'exprime en joie, pas en commisération.

 

Enfin, il y a cette parabole merveilleuse : un homme puissant fait ses comptes. L'un de ses partenaires lui doit beaucoup, des millions. Qu'il ne peut payer. « Alors la prison ! » « Pitié, demande cet associé, j'ai femme et enfant, laisse-moi du temps, je paierai ». Et le puissant homme a pitié, et lui remet la totalité de sa dette.

Mais la parabole ne s'arrête pas là, car sitôt sorti, bien soulagé, cet associé croise un de ses propres débiteurs qui lui doit une centaine d'euros. « Rembourse-moi tout de suite, sinon la prison ! ». « Pitié, dit l'autre, j'ai femme et enfant, je te rembourserai tout ». Mais il ne veut rien entendre et l'envoie en prison.

Que fera le puissant homme, dès qu'il le saura ? Il convoquera son associé : « Mauvais sujet, ne devais-tu pas avoir pitié de ton compagnon, comme j'ai eu pitié de toi ? » Et il l'enverra cette fois en prison, jusqu'à ce qu'il ait tout payé jusqu'au dernier centime... L'homme puissant, c'est bien sûr Dieu et son pardon.

 

Ainsi la pitié est le sentiment même de Dieu envers nous. Pas de honte à en avoir, au contraire ! Mais la pitié que Dieu nous offre nous conduit à l'éprouver pour autrui. A défaut, si la pitié de Dieu envers nous ne circule pas vers autrui, elle se dissipe, et s'efface. Heureux ceux qui ont pitié, car on aura pitié d'eux.

Et sinon... ? Dieu nous punit ? Pas la peine : la punition, comme la récompense, se fait d'elle-même, comme si souvent.

Tout simplement parce que nous sommes perçus tels que nous sommes : comme on est, on est perçu ; et comme on est perçu, on est traité... Jésus ne fait qu'énoncer une vérité toute simple, vraie dans les deux sens :

Tu te comportes comme un chien ? Cela se voit. Et on n'aura guère d'affection ni de pitié pour toi.

Tu te comportes avec générosité ? Cela se voit. Tu seras aimé, et on aura pitié de toi.

Tu te crois juste, et n'as besoin ni de Dieu, ni des autres ? Dieu te laissera seul.

Tu te sais fragile, et tu as besoin de Dieu et des autres ? Dieu t'enveloppera de sa tendresse.

Car la promesse est bien double : si tu as pitié, Dieu, et d'autres, auront compassion et affection pour toi ; si tu n'as pas pitié... tu resteras seul.

 

Alors... laisse frémir, laisse grandir, laisse s'épanouir en toi la pitié, la belle et généreuse pitié envers autrui ; ce faisant tu laisseras ouverte la porte de ton jardin, pour qu'y pénètre la pitié de Dieu envers toi. Cette pitié de Dieu qui est notre seule assurance, la seule, pour cette vie comme pour l'autre. Et vous connaissez de plus rassurante promesse que celle de la pitié de Dieu ?

 

 

Mais arrivés à ce point, nous pouvons aussi, aujourd'hui, faire un détour par les Béatitudes formulées dans l'autre Evangile, celui de Luc. Et changer d'un coup d'univers. Et trouver soudain un objet pour notre pitié. En nous souvenant que Luc évoque, lui, les pauvres tout court, ceux qui ont faim ou qui pleurent. Et qu'il laisse Jésus s'écrier : « Malheur aux riches, à ceux qui sont dans l'abondance, à vous qui riez aujourd'hui ! ». Et soudain les siècles se télescopent, nous pensons à l'actualité de Tunisie, d'Egypte, de Libye, du Yémen.

Et nous relisons à cette lumière la suite du sermon de Jésus sur la montagne :

« Ne vous amassez pas de trésor sur la terre, où les vers et la rouille détruisent et où les voleurs fracturent. Car là où est ton trésor, là est ton cœur.

…Si ton œil est mauvais, tout ton corps sera dans les ténèbres.

…Personne ne peut être esclave de deux maîtres, vous ne pouvez être serviteurs de Dieu et de l'argent » Ou du pouvoir, aimerait-on ajouter.

 

Or, le mois dernier, nous avons emmené les pré-catéchumènes de cette paroisse visiter une mosquée, pour découvrir avec eux le vrai visage de l'Islam en France, nourri du Coran et de la prière. Un Islam qui condamne la violence, le fanatisme, le terrorisme et l'iniquité sociale, et prône la paix, le respect, la pitié, le dialogue, l'intériorité et le primat du cœur sur la pratique et le rite.

Depuis des années, une large partie des responsables chrétiens de ce pays, en particulier protestants, répètent que l'image de l'Islam donnée par les islamistes ne représente pas l'Islam réel, mais le dénature et le viole.

Et nous redisions que l'Islam est une grande religion, à la mystique admirable, mais une religion malade et souffrante de son décalage avec le siècle. D'où ses blocages, ses extrémismes et sa crispation sur le traitement des femmes. Mais que cela ne durerait pas, l'Islam se réformera, comme le Christianisme s'est réformé jadis, qu'il soit protestant ou catholique.

Eh bien, aujourd'hui, il semble que nous y assistions, plus tôt et plus brutalement que prévu. Ce qui se passe en ce moment n'est bien sûr pas religieux, mais n'aurait pas été possible s'il n'avait été précédé, accompagné et annonciateur d'un changement dans les mentalités religieuses des pays arabo-musulmans, un changement irréversible qui rejette les extrémismes religieux et appelle à un Islam pacifique, personnel, laïcisé.

On ne peut dire évidemment comment évolueront les choses, encore moins que tout va changer du jour au lendemain. Mais il est permis d'espérer qu'à terme plus rien ne sera comme avant dans ces Etats musulmans. Il est possible que nous assistions à un bouleversement aussi profond et général que la chute du mur de Berlin et l'effondrement du glacis soviétique il y a vingt ans.

L'histoire semble en route, et les Ben Ali, Moubarak, Kadhafi et autres ressemblent aux riches et rieurs, qui aujourd'hui pleurent. Peut-être bien qu'un horizon se dégage – se dégage seulement, mais irréversiblement – pour tous ceux qui dans ces pays ont faim, faim de biens et de sécurité, mais plus encore de respect, de liberté, de cette liberté de conscience et d'opinion qui nous est si chère et que nous devons à Luther et aux Réformateurs. Faim d'un Islam plus individuel, plus intérieur, laïcisé comme nous le sommes, ouvert et tolérant comme il a su l'être en d'autres temps. C'est en route !

 

Alors... compassion et admiration pour ces peuples debout qui, en réclamant dignité, respect, liberté de conscience et d'expression, foi personnelle et non contrainte, réclament ce que nos ancêtres ont eux aussi chèrement acquis, et ce que le Christ est venu promettre en affirmant sur la croix que chacun est accepté et aimé de Dieu, tel qu'il est.

Compassion pour toutes ces victimes d'une répression aveugle, folle et vaine, pour ces vies interrompues et ces familles brisées.

Compassion aussi, dans la joie de les voir tomber, pour ces tyrans qui tombent et leurs fidèles qui tuent, parce que le Christ est mort pour eux aussi, et sur la croix leur a promis un pardon que nous-mêmes n'avons sans doute pas le droit de donner.

Compassion. Pitié.

 

Et nous, ici, aujourd'hui ? Eh bien, souhaitons-nous d'être heureux, et pour cela de savoir avoir pitié et compassion, humilité de cœur, faim et soif de justice : Dieu aura pitié de nous.

Offrons cela à nos enfants : la force d'avoir pitié. La force d'être du bon côté des Béatitudes, celui des bêtement généreux. La Bible le promet à tous : alors ils seront heureux.

Et en ces jours, la promesse est magnifiquement plus large : alors le monde entier sera plus heureux.

 

Jean-paul Morley

    Culte du 27 février 2011

 

 

Lectures :       Matthieu 5 : 6, 7, 10

                        Luc 6 : 20-21, 24-25

                        Matthieu 18 : 23-27

 

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