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12 avril 2020 7 12 /04 /avril /2020 08:55
Conte du jour, 19

P I E R R E

Moi, c’est Pierre. En fait, Pierre, ce n’est pas mon vrai nom. Mon vrai nom, c’est Simon. C’est Jésus qui a voulu m’appeler Pierre. Il disait que sur cette pierre, il construirait son Église. C’est un des moments où j’ai vraiment pensé que Jésus était un peu fou.

Mais je l’aimais. Il avait une façon de vous regarder… On était comme transpercé jusqu’au fond de nous, plus profond qu’on se connait nous-mêmes. C’était en même temps un regard plein d’affection, de compréhension, de confiance... Il avait aussi une façon de vous parler : on sentait immédiatement que chaque mot était vrai, qu’il nous parlait de nous, comme s’il nous connaissait depuis toujours, comme si on reconnaissait chaque mot et qu’il répondait à nos questions secrètes ou à nos inquiétudes…

 

Pourtant, le jour où il a annoncé qu’il devait mourir, je ne l’ai pas cru. Je n’ai pas voulu le croire. Je venais de reconnaître ce que je sentais depuis longtemps, mais que je n’osais pas dire ; et là, ça a débordé : je lui ai déclaré que c’était lui le vrai Fils de Dieu, le Messie envoyé par Dieu, celui qu’on attend depuis si longtemps. Mais juste après, quand il a affirmé qu’il devait mourir, je lui ai répondu non, je l’ai assuré qu’on le défendrait tous, et moi en tout cas, même si je devais mourir.

Et vous savez ce qu’il m’a répondu ?  “Arrière de moi, Satan ”. Me dire ça, à moi, juste après ce que je venais de dire ! “Arrière de moi, tes pensées sont celles des hommes !” J’étais furieux. Et vexé. Car moi, je savais bien que je serais prêt à mourir pour le défendre. Surtout qu’après, il y a eu cette entrée magnifique dans Jérusalem, sur son âne, comme un roi, avec toute cette foule qui agitait des rameaux et criait :“Béni soit le Fils de David !”. Nous, on croyait que ça y était, que c’était gagné. Mais le soir de Pâques, il s’est passé ce curieux repas autour du mouton sacrifié, avec le pain azyme et les herbes amères. Quand Jésus a pris du pain, et a dit que c’était son corps, et il l’a rompu. Et que ce vin c’était son sang, et nous devions le boire pour nous souvenir de lui. Ce soir-là, il a répété qu’il devait mourir. De nouveau ça m’a révolté, mais, cette fois, je n’ai rien dit.

Le même soir, il nous a emmenés, Jacques, Jean et moi uniquement, sur la colline, au milieu des oliviers, face à Jérusalem. La lune brillait, presque dorée, et se reflétait sur les toits du Temple et de la ville. Elle dessinait de grandes ombres noires entre les oliviers, un peu effrayants en pleine nuit. Il nous a demandé de prier. Mais il était tard. Je me suis endormi… Les autres aussi, je crois. Il nous a réveillés, il n’était pas très content, et c’est vrai qu’il avait l’air anxieux, perdu, comme jamais on ne l’avait vu. Nous sommes quand même retombés endormis. Deux fois. La troisième fois qu’il nous a réveillés, j’ai entendu des chuchotements, puis des pas, et un bruit d’armes qui s’entrechoquaient doucement. Des soldats ! Et puis Judas, un des nôtres, un ami – on avait marché, ri, mangé, prié, dormi, discuté ensemble… Judas a embrassé Jésus. Embrassé, je l’ai vu ! Et c’était pour le trahir. Les soldats ont aussitôt saisi Jésus, j’ai tiré mon épée, les autres se sont enfuis, mais je me suis jeté sur les soldats, et j’en ai blessé un premier à la tête…

“Arrête ! Arrête, m’a dit Jésus. Si tu prends l’épée, tu mourras par l’épée…” C’est Jésus lui-même qui ne voulait pas que je le défende, il a même guéri le soldat ; je ne comprenais vraiment plus rien, je ne savais plus quoi faire, alors je me suis enfui. Mais pour me cacher. Et je les ai suivis, seul, sans me faire voir.

Ils l’ont emmené jusqu’au palais du grand prêtre, où ils l’ont gardé dans un coin de la cour. J’avais peur. Et froid, jusqu’au fond de moi. Peur pour Jésus. Peur pour nous tous, ses compagnons. Peur pour moi, mais pas trop, je voulais rester pour pouvoir l’aider à la moindre occasion. Alors, je suis entré, l’air naturel, comme si j’étais de la maison. Il faisait froid, il y avait du feu, je me suis approché, et j’ai commencé de bavarder, l’air de rien, en me réchauffant les mains et les jambes, tout en jetant des coups d’œil vers Jésus, là-bas.

Mais une servante m’a reconnu : ‘’Toi aussi, tu en étais !’’

Si je disais oui, ils allaient m’arrêter ou me jeter dehors, et je ne pourrais plus rien faire. Alors j’ai menti : ‘’Je ne sais pas de quoi tu parles !’’

Mais une autre m’a reconnu, puis les hommes, qui avaient entendu mon accent du Nord. Alors je me suis fâché, pour qu’ils me lâchent : ‘’Je vous dis que je ne le connais pas, je le jure !’’

Au même moment, le coq a chanté, et Jésus m’a regardé. Un regard que je n’oublierai jamais. Oh, un regard sans rancune, sans jugement, mais qui montrait à quel point Jésus était seul, exactement comme il l’avait annoncé.

Mon sang s’est arrêté et je me suis souvenu que Jésus m’avait dit : “Même toi, Pierre, qui déclare être prêt à mourir pour moi, même toi, avant que le coq chante, trois fois tu m’auras renié !’’ Alors je suis sorti de la cour, abasourdi, désespéré, je me suis assis par terre contre le mur, et moi, Pierre, j’ai pleuré… J’avais dit que je le défendrais jusqu’à la mort, et je me suis enfui. J’avais dit que je ne l’abandonnerais jamais, et je l’avais renié trois fois de suite… Tout ça en une seule nuit.

La suite, vous la connaissez. Une histoire de fous. Jésus a été envoyé à Pilate, le Romain. Les prêtres l’ont accusé de tout, de vouloir détruire le Temple, d’agiter le peuple, de s’opposer à César, l’Empereur. N’importe quoi. Le pire, c’est quand la foule, qui l’acclamait trois jours avant aux Rameaux, a préféré libérer un assassin, Barrabas, plutôt que Jésus, qui n’a jamais tué personne et a au contraire guéri des dizaines de malades, d’aveugles, de paralysés, et qui ne parlait que de paix, d’amour, de respect, de droiture, de pardon. Et finalement, c’est à peine croyable, les Romains l’ont condamné à mort, comme un terroriste !

Je n’ai pas pu y aller. Il paraît que plusieurs femmes l’ont accompagné et sont restées jusqu’au bout. Moi je n’ai pas pu. Je n’ai pas eu le courage, pas la force, je ne voulais pas voir ça, je ne pouvais pas voir Jésus crucifié, je ne voulais pas le voir mourir ; pas lui ! Je n’aurais pas supporté. Et puis j’avais honte.

Je n’ai plus pu lui parler depuis cette nuit sur la colline, quand il nous réveillait pour nous reprocher de ne pas prier avec lui.

C’était vendredi. Quand il est mort, au milieu de l’après-midi, il a tout à coup fait noir comme en pleine nuit. Même la terre a tremblé. On raconte que le voile du Temple, qui isole le Saint des Saints, s’est déchiré, comme si Dieu n’habitait plus dans le Temple. On raconte aussi que des Romains se sont écriés, en le voyant mourir, que Jésus était le Fils de Dieu. Mais pourquoi est-il mort ?

Tout ça, c’était vendredi. Et ce matin, dimanche, les deux Maries sont montées à son tombeau, pour parfumer son corps. Elles sont redescendues affolées, en courant, criant que son corps n’était plus là, et que deux anges leur avaient dit qu’il était ressuscité ! Des anges ? Moi, Pierre, je n’en ai jamais vu. Et quand on est mort, on est mort. C’est la douleur qui les rendait folles.

Mais je suis quand même monté voir avec Jean. Au début, on courait. Mais quand on s’est approchés, on a ralenti. On sentait nos cœurs battre à la folie. Tout était normal, le soleil était là, les arbres, tout. Mais rien ne bougeait, il y avait un étrange silence. Alors qu’en nous, ça bourdonnait. J’avais presque le vertige. Quand nous sommes arrivés, le tombeau était ouvert. Et vide. Comme elles avaient dit. Son corps n’était plus là. Les linges qui l’entouraient étaient restés, bien pliés. Et c’est en regardant ce vide que j’ai compris, enfin : il est vivant ! Je ne sais pas comment, mais il est vivant. Tout ce qu’il nous a dit : que nous pouvons parler directement à Dieu, qu’Il ne nous juge pas, que nous pouvons pardonner, qu’il est possible d’aimer, que le monde va changer… Tout ce que nous ne comprenions pas, c’est vrai.

Et j’ai enfin compris que je pourrais être cette pierre sur laquelle Jésus construira son Église. Que je n’ai pas besoin pour cela d’être un héros, juste de lui faire confiance.

Tout cela, c’était il y a très longtemps. Il s’est passé beaucoup de choses, depuis. Maintenant je suis vieux, moi aussi j’ai été arrêté par les Romains, hier. Mais j’ai vu l’Église naître et grandir, autour de moi, Pierre, comme Jésus l’avait annoncé.

Les Romains vont me condamner à mort. Mais je n’ai plus peur.

Jean-paul Morley

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