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30 septembre 2011 5 30 /09 /septembre /2011 17:19

L’Evangile dans le Scoutisme

 

L'été, voyager, rencontrer, vous donne toujours des raisons d'espérer... Début août, mon épouse s'était fait inviter à un colloque aux Etats-Unis : je me suis glissé dans un de ses dossiers et me suis envolé avec elle...

Pour retrouver la gentillesse, la gaieté, la disponibilité de beaucoup d'Américains, qui ont toujours l'air vraiment heureux de vous voir ou de vous rendre service. Retrouver aussi leur exemplaire façon de conduire. Ce ne sont peut-être pas des virtuoses à l’italienne, mais ils imposent le respect par leur sens civique. Ce n'est pas simplement qu'ils respectent les règles, c'est plus subtil : ils ne se privent pas d'une certaine souplesse d'interprétation vis à vis des lignes blanches, des feux, des stops et même des limites de vitesse ; mais ils en sont parfaitement scrupuleux, presque à l'excès, dès qu'il s'agit de la sécurité des piétons, des vélos, et des autres en général. Etonnant pour un Français ! Comme s'ils étaient déjà au-delà des règles et de la lettre, pour intérioriser la morale, le bien commun. La loi – respect de la sécurité d'autrui – gravée non plus dans la pierre ou le texte, mais dans les cœurs. Admirable. Les prophètes du Premier Testament, comme Jérémie, auraient adoré !

C'est une raison d'espérer.

 

Et cette Loi gravée non plus dans les textes, mais dans les cœurs, c'est ce que le scoutisme met lui aussi en pratique. C’est une nouvelle raison d'espérer.        

Or, cette année célébrait le centenaire de la naissance du scoutisme unioniste, et donc du scoutisme en France. Les camps nationaux des Eclaireurs unionistes regroupaient toutes les unités de Louveteaux, Eclaireurs et Aînés de France. Celles de Pentement-Luxembourg se sont regroupées à celui de Privas, où je leur ai rendu visite. Ce grand camp rassemblait 950 jeunes, plus des centaines d'anciens et de parents. Tout cela impeccablement organisé et sécurisé : sous-camps, intendance pour 2000 personnes, communication, signalétique, toilettes démontables, aussi pour 2000 personnes, infirmerie, transports, accueil, horaires, animation d'un millier de jeunes de 8 à 18 ans et autant d'adultes le dimanche. Tout cela organisé par des centaines de bénévoles, la plupart de moins de 25 ans, c'est-à-dire presque aussi jeunes  que leur public. Le tout parfaitement mené, animé, maîtrisé, folklorisé, avec d'immenses grands jeux, des rassemblements en carré impressionnants, une ambiance chauffée à blanc, des chants, des rires, des cris collectifs, de l'enthousiasme... Par des bénévoles. On imagine pourtant la logistique, l'anticipation, la conduite de projet, le travail en amont, le professionnalisme... Juste des bénévoles. Pendant des mois. Pour quatre camps nationaux simultanés et des milliers de participants.

Comme des pros, mieux que des pros.

Comment est-ce possible ? La qualité de ces responsables scouts, bien sûr, et la qualité des scouts eux-mêmes, mais une qualité due à la loi scoute, qui se grave dans les cœurs au fil des ans, au fil des camps, des jeux et de la vie quotidienne, et qui permet que cela devienne possible. Que le difficilement imaginable devienne réalité, parce que tous ont le souci d'autrui, du collectif, de l'autorité acceptée, du fonctionnement, de la responsabilité, du respect. Tous, même ceux de dix ans, même ceux de seize ans, même ceux d'Aubervilliers ou de Barbès, ou ceux de Passy.

La Loi gravée dans les cœurs. L'Evangile, annoncé par petites touches, qui imprègne pas à pas, camp après camp, les esprits.

 

Comment ? Je vais donner en exemple les questions qui peuvent accueillir un pasteur dès son arrivée lors d'une visite à un camp de Louveteaux, c'est à dire des enfants de 8 à 12 ans. Des questions écrites, et par le benjamin du camp. Je vous les lis telles quelles, des questions toutes simples :

« Pourquoi Dieu est dans le ciel ?

 Pourquoi Dieu nous protège ?

Que se passe-t-il si Dieu est mort ?

Comment fait-on un dieu ?

Pourquoi son frère a été crucifié ?

Pourquoi on chante des chansons de Dieu ?

Comment Dieu nous voit ? … »

Je vous garantis que même un pasteur chevronné commence par rester sans voix... Mais il faut bien répondre, alors on essaie.

Certaines questions peuvent se contenter d'une réponse simple :

-Pourquoi Dieu nous protège ? Parce qu'Il nous aime, tout simplement. Il nous aime comme ses propres enfants.

-Pourquoi on chante des chansons de Dieu ? Pour dire merci. Parce que nous recevons beaucoup de choses : la présence des chefs, la nourriture que nous donne la terre, ou le soleil et le bonheur sur ce camp de louveteaux...

-Que se passe-t-il si Dieu est mort ? Dieu ne meurt pas, Il est éternel. Et s'Il mourait, tout s'arrêterait. Mais Il a besoin que nous croyions en Lui, pour que nous sentions son amour.

-Comment fait-on un Dieu ? On ne fait pas un Dieu. Personne ne L'a fait. C'est Lui qui nous a fait, et qui a fait le ciel, la terre, et chacun de nous. C'est pour cela qu'on l'appelle le Créateur.

 

Mais d'autres questions sont moins simples :

 

Notre Père qui es aux cieux, que ton Nom soit sanctifié (Matthieu 6: 9)

-Pourquoi Dieu est dans le Ciel ! ? Très bonne question. Dieu n'est pas dans les nuages, bien sûr. Il n'est pas là, au-dessus du bleu du ciel. Mais parler du ciel est une bonne idée, parce que le ciel, c'est à la fois l'infini, l'univers, ce qui est encore plus loin que le ciel, et c'est là que Dieu est : à l'infini, bien au-delà. C'est ce que les gens savants appellent la transcendance. Alors dire que Dieu est au Ciel, c'est dire que Dieu n'est pas comme nous, comme nous les humains, mais qu'Il est au-delà, qu’Il est totalement différent de nous...

Toutefois, le ciel, c'est aussi là où nous sommes : notre planète, la terre, est dans le ciel, l'air que nous respirons… c'est le ciel, le vent qui souffle et nous caresse le visage, c'est le ciel... Alors dire que Dieu est dans le Ciel, c'est dire aussi que Dieu est tout près de nous, à côté de nous, tous les jours, à tous les moments, et qu'Il nous caresse le visage...

A la fois très loin, très haut, très différent ; et tout proche, tout près, qui peut nous comprendre. Voilà pourquoi on dit qu'Il est dans le Ciel.

 

Le Christ est mort pour nous, alors que nous étions pécheurs

Par son sacrifice, nous sommes sauvés de la colère de Dieu (Romains 5 :8-9)

-Pourquoi son frère a été crucifié ? Pas son frère, son fils... Mais ce serait un regard surprenant et novateur sur la Trinité !

Mais revenons à la question. Dites-moi : est-ce que Dieu est content de tout ce que nous faisons, tout ce que nous disons, tout ce que nous pensons ? Est-ce qu'il est content  de tout ce que nous faisons et gâchons, tous les jours ? Est-ce qu'Il aurait des raisons d'avoir envie de se fâcher ? De nous punir ? De nous donner une bonne fessée ?

D'un seul élan et sans hésiter les louveteaux ont répondu « Non, Il n'est pas toujours content de nous ; oui, Il peut avoir envie de se fâcher contre nous ». Mais dans ce cas, Dieu a un problème : Il veut montrer qu'Il en a assez, parce qu'on exagère ; mais... Il aime ses enfants. Alors que peut-Il faire ? Un exemple ? En prendre un particulièrement méchant et le punir ? Mais ce serait injuste, car c'est nous tous qui faisons des vilenies … Punir tout le monde ? Mais Il nous aime trop pour cela !

Alors Dieu a eu une idée, que seul Dieu pouvait avoir : envoyer son fils, totalement innocent, dans un être humain. Il faut qu'il soit innocent, car s'il était coupable, on trouverait normal qu'il soit puni. Et Dieu lui fait infliger une mort terrible, cloué sur une grande croix. Pourquoi ? Pour montrer sa colère, pour dire que Dieu attend autre chose de nous, pour dire que ce n'est pas normal, tout ce que nous faisons, ou disons, ou pensons de mal ; et qu'Il en a assez. Montrer sa colère, dire qu'Il en a assez, Lui, Dieu. Montrer comment nous méritons qu'Il nous punisse tous ! Il le fait.

Puis, deux jours après, Il ressuscite son fils, Jésus. Pour dire qu'Il nous pardonne quand même, parce qu'Il nous aime, qu'Il nous aime malgré tout... mais qu'Il attend mieux de nous, plus d'amour entre nous et en nous...

 

Aujourd’hui, nous voyons comme dans un miroir,

Alors nous connaîtrons comme nous avons été connus (I Corinthiens 13 :12)

-Comment Dieu nous voit ? Question simple quand, adulte, on peut concevoir un Dieu pur esprit et sans corps... Question beaucoup plus troublante quand, enfant, on ne peut concevoir un être vivant sans aucun corps d'aucune sorte, un pur esprit... Alors que dire ? Cela : Dieu n'a pas de corps. Il est comme le vent, on ne le voit pas, on ne peut pas le toucher, on ne peut l'attraper, mais on peut l'entendre et le sentir... Dieu, c'est un peu comme notre intelligence, ou l'intelligence du monde : comme notre intelligence, on ne peut pas le voir, mais on peut voir ses effets... Ou comme l'amour : il n'a pas de corps, mais on le sent dans notre cœur... Dieu, c'est pareil. Il n'a pas de corps, alors Il n'a pas d’yeux non plus. Mais Il nous voit de deux façons, un peu comme l'aveugle que Jésus guérit en deux temps : il voit d'abord des silhouettes comme des arbres qui bougent, puis il voit vraiment des personnes. Dieu nous voit aussi comme cela : Il voit tout, partout, Il a conscience de tout ce qui vit et de tout ce qui ne vit pas. Il nous voit vivre et bouger. Mais Il voit aussi à l'intérieur de nous : Il connaît nos pensées, nos peurs, nos troubles, nos inquiétudes, nos chagrins, nos joies, nos envies de bien faire, nos gentillesses ; et Il entend toutes nos prières. Il n'a pas besoin d'yeux pour ça. Il nous voit de l'extérieur, et Il nous voit à l'intérieur. Lui seul peut le faire. Parce qu'Il est Dieu.

Et heureusement, Il nous aime !

 

Voilà. Voilà comment on peut essayer de répondre. Mais si vous avez d'autres réponses à ces questions si simples, dites-les moi, je suis preneur !!

 

Et pour finir cet exemple de comment tenter d'annoncer, par petites touches, l'Evangile aux Louveteaux et Eclaireurs, et l'inscrire progressivement dans les cœurs, ceux qui connaissent vont pouvoir fredonner, puis chanter avec moi, et ceux qui ne connaissent pas pourront écouter avec attention cette superbe prière qui est chantée chaque soir dans chaque camp de Louveteaux ou d'Eclaireurs Unionistes :

« Seigneur, rassemblés près des tentes

Pour saluer la fin du jour

Tes fils laissent leurs voix chantantes,

Monter vers Toi, pleines d'amour

Tu dois aimer l'humble prière

Qui de ce camp s'en va monter

O Toi qui n'avais sur la Terre

Pas de maison pour t'abriter !

 

Refrain : Nous venons toutes les patrouilles,

 te prier pour te servir mieux;

Vois au bois silencieux

Tes scouts qui s'agenouillent

Bénis-les ô Jésus dans les Cieux !

 

2. Merci pour ce jour d'existence,

Où ta bonté nous conserva ;

Merci de ta sainte présence

qui de tout mal nous préserva

Merci du bien fait à la troupe

Merci des bons conseils reçus,

Merci de l'amour qui nous groupe

Comme des frères, ô Jésus.

 

3. Nos cœurs ont-ils perdu ta grâce,

Pardonne encore à nos erreurs,

Seigneur que ta clémence efface

Les péchés de tes Éclaireurs.

Et que rempli de l'allégresse

D'avoir répété son serment,

Chacun s'endorme en la promesse

De te servir sincèrement.... »

 

 


J.P. Morley

Cultes du 4 septembre 2011

 

Lectures : Jérémie 31 : 33

                 Matthieu 6 : 9

                 Romains 5 : 8-9

                 1 Corinthiens 13 : 12

 

 

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18 juillet 2011 1 18 /07 /juillet /2011 18:23
RAMEAUX : NOS DÉCEPTIONS

 

Mots clefs : prière, espoirs

 

Aujourd’hui, pour tous les Chrétiens c’est le dimanche des Rameaux.

Le jour du grand malentendu. Apparemment une fête. En réalité un immense quiproquo.

 

Jésus, le fils d’un charpentier du petit village de Nazareth, depuis trois ans parcourt Israël et les contrées voisines en annonçant le pardon de Dieu, son amour, la proximité de son règne, déjà tangible à travers les guérisons, le pain multiplié et les miracles qu’il opère. Ce jour-là, Jésus entre triomphalement dans Jérusalem, juché sur  un âne, selon la tradition des rois d’Israël, entouré des vivats d’une foule joyeuse, confiante et enthousiaste, qui coupe et dépose des rameaux sous les sabots de son âne, pour lui faire un chemin royal…

Entrée du Messie tant attendu dans la ville de David, occupée par les Romains ? Avènement d’un nouveau roi, envoyé par Dieu lui-même, pour instaurer le règne de Dieu, la paix, la justice, la fraternité, le bonheur sur terre ?

Non, malentendu. Cinq jours plus tard, Jésus sera mort, rejeté par cette foule en liesse et abandonné de ses plus proches.

 

Que se passe-t-il donc à Jérusalem, ce dimanche des Rameaux ? Il y a ce marginal, cet illuminé, charpentier de province là-bas en Galilée, qui parle si bien des choses de Dieu, qui a tellement de tendresse et de sagesse dans les yeux, qui fait naître en chacun, à son cœur défendant, tellement d’espoir un peu fou ; qui, dit-on, a guéri tant de malades et même paraît-il, ressuscité quelques morts ; qui dit-on a déjà des milliers de disciples qui le suivent et se préparent au nouveau règne de David et de Dieu ; qui est si libre vis-à-vis des conventions et des autorités, toujours bienveillant envers les petits ou les méprisés, mais intraitable avec les pleins d’eux-mêmes ; qui est si sûr de sa foi et si totalement dédié à sa cause, sans aucune peur ni réserve ; si aimant dans son contact avec tous et avec la foi d’Israël…

Tellement qu’on ne peut qu’y croire, espérer, s’y donner et attendre le règne de Dieu. On attend tout, et on lui donne tout, son espoir, son enthousiasme, sa confiance, et tous sont là, au bord du chemin, pour l’acclamer et se dire, chacun en secret « et si c’était vrai ? Et si c’était maintenant ? Et si… ça arrivait vraiment ?”

Et bien sûr ce n’est pas ça. Quatre jours plus tard, ils l’auront tous abandonné, cinq jours plus tard, il sera mort. Et lui n’aura pas tenu ses promesses, non plus…

Déception.

Malentendu, surtout.

 

En songeant à cet épisode et à l’actualité, j’étais tenté de faire un parallèle avec une élection politique. Au soir d’une élection, un nouveau ou une nouvelle Président(e) de la République, Président(e) de région, Maire, est élu. Tous ses partisans sont heureux, joyeux, confiants, enthousiastes. Lui, ou elle, aussi. Mais il ou elle, sait. Sait déjà qu’il ne pourra pas tout faire, tout tenir, tout réussir, que la réalité et les évènements seront souvent plus forts que sa volonté et tous ses efforts ; qu’il décevra, parce que les choses seront forcément différentes et plus difficiles qu’on ne l’a espéré et pourtant calculé. C’est, comme toujours et partout, l’ingratitude de la responsabilité, l’ingratitude de l’action.

De même pour Jésus. Qui, à ce moment-là, pouvait apparaître lui aussi comme un personnage politique, redouté des Romains et des prêtres de Jérusalem. Mais ce jour-là, aux Rameaux, tous y croient, joyeusement et avec confiance. Sauf un. Celui qu’on acclame. Lui aussi, il sait. Il sait que dans quelques jours tous ceux-là l’abandonneront, et qu’il sera mort. Il sait que tous ceux-là se trompent, qu’il y a maldonne, malentendu, illusion. Il sait quel est et quel sera son vrai chemin.

Ils attendent un Dieu tout puissant, un sauveur providentiel, un Messie politique, un guérisseur, un magicien, un Dieu qui installerait d’un coup et sans effort la justice et la fraternité, le bonheur, la droiture et la fidélité, le Royaume de Dieu.

Mais Lui, ce qu’il est venu annoncer, c’est autre chose, c’est l’amour et le pardon de Dieu, sa promesse mais aussi son appel : changez vos cœurs, changez vos regards, changez vos comportements et le monde changera autour de vous. La justice, la fraternité et le bonheur sont bien là, tout près de vous, mais… dans vos mains à vous.

Déception inévitable pour toute cette foule qui attend quelque chose de magique.

Déception pour Jésus, qui attendait et espérait de nous les humains, et comprend que nous n’avons pas compris.

 

Avons-nous tellement changé depuis ?

Pas sûr. Un jour sans doute, beaucoup d’entre nous avons sauté dans la foi, avec confiance et enthousiasme, convaincus que plus rien ne serait comme avant, que tout allait changer, que la puissance de Dieu allait tout changer dans notre vie, dès aujourd’hui, et que nous allions vivre l’amour de Dieu, la fraternité et l’accueil d’une communauté croyante. Et nous étions prêts à tout donner. Et nous avons plongé dans la prière, avec confiance et enthousiasme, et nous en avons tout attendu :

Le bonheur du dialogue avec Dieu,

L’émerveillement de notre intimité avec le Seigneur,

La reconnaissance infinie pour tout ce qu’il donne, sa tendresse, ses dons, la foi, et l’attente de tous ces dons à venir

La prière qui sera entendue, puisque nous sommes sincères, désintéressés et confiants, et que Lui a promis, et que Lui est fidèle,

Les guérisons qu’il va offrir autour de nous,

Les réconciliations, les portes ouvertes pour tant de situations sans issue…

Et l’on commence la prière et la vie de foi avec enthousiasme, en se réjouissant avec la communauté et en se disant en secret : “Il le fera, Il l’a promis ; et c’est tellement nécessaire…”

Et puis ce n’est pas tout à fait ça. C’est moins spectaculaire, ce n’est pas magique… Les réponses sont souvent muettes ou différentes, les guérisons restent rares, les réconciliations s’enlisent parfois, des situations demeurent sans issue…

Déception.

 

Mais ne te résous pas à la déception. Ce serait en rester à l’illusion et au malentendu de ce jour des Rameaux. Or, c’est autre chose qui t’est proposé, autre chose qu’une solution magique à toutes tes attentes. Parce que c’est sur toi et moi que Dieu parie, ce n’est pas notre environnement, c’est nous qu’Il veut changer en profondeur. Et pour toi aussi, comme pour Jésus, il s’agira d’un chemin, un vrai chemin dans la durée, une construction de toi-même dans la durée. La Bible te le promet : “C’est parce que nous avons une telle espérance, écrit Paul,  que nous sommes pleins d’assurance. Et c’est ainsi que nous sommes transformés de gloire en gloire ; pour devenir à l’image du Seigneur, car telle est l’œuvre accomplie par l’Esprit de Dieu”.  Devenir semblable au Seigneur, être métamorphosé à l’image du Christ !

Oui. C’est bien cela que dit Paul. Mais comme pour Jésus, il s’agit d’un chemin qui demande du temps, et parfois une croix à porter. Parce que celui qui vient à nous, ce n’est pas un Christ-roi, mais un christ en croix, révélant par sa souffrance qu’à travers le don de nous-mêmes, la souffrance est crucifiée ; qu’à travers l’obéissance, la nuit est traversée ; qu’à travers la prière, nous sommes transformés ; qu’à travers les siècles l’amour rejoint et épouse l’humanité.

Un Christ en croix, c’est-à-dire un Christ qui se donne et non un Christ qui gouverne. Un Christ qui, au-delà des illusions peut-être ou des malentendus des premiers jours, nous donne sa présence permanente au fond de nous, comme une compagne de chaque heure et de chaque instant, d’une fidélité absolue, dans la durée, présente dès qu’on entrouvre la porte… Une présence qui s’appelle l’Esprit de Dieu.

 

Une présence qui nous emplit, nous agrandit et métamorphose notre vie, qui transforme notre passage sur terre en sillon et en semence, et qui nous promet dans un chuchotement que oui, un jour, il y aura réparation, que l’amour triomphera et se nourrira du nôtre, donné en secret toute notre vie, pour le démultiplier et envahir la terre entière.

Et c’est ainsi que nous nous construisons, ou plutôt que nous sommes construits, et que nous devenons, chacun, de beaux êtres. Semblables au Seigneur, ose dire Paul. Mais à travers une lente maturation, un cheminement intérieur, une imprégnation de la volonté de Dieu en nous, de la logique de Dieu en nous, cette logique d’amour, de bienveillance, de pardon, de non-jugement ; cette logique de détachement vis-à-vis de nos biens, de nos convoitises, de nos prétentions, de nos peurs et de nos vanités ; cette logique de transformation de gloire en gloire dit Paul, mais on dirait plus sobrement en personnes qui donnent et se donnent naturellement, sans y penser ; en personnes qu’on estime, qu’on croit, qu’on remercie d’exister ; en personnes qui n’ont même pas conscience de leur qualité et du bien qu’elles apportent autour d’elles et au monde.

En personnes qui deviennent sans le savoir, imperceptiblement, les pinceaux de Dieu sur la terre, y dessinant entre ses mains une humanité nouvelle. Et qui, chemin faisant, découvrent que si : Dieu répond, le monde change autour d’elles et avec elles, des guérisons, des réconciliations et de nouveaux départs se produisent tout au long du chemin…

 

Voilà ce que représente la fête des Rameaux :

L’enthousiasme d’un commencement, avec sa part d’illusion ou de malentendu, pour promettre beaucoup plus : cet enthousiasme temporaire n’est encore rien, c’est juste l’étincelle de la lumière qui fera de nous, parfois à travers nos propres croix, des personnes lumineuses, à l’image du Seigneur, avant de submerger et d’envahir la création entière.

C’est Pâques qui le permet. Dimanche prochain.

 

Lectures :        - Matthieu 21 : 1-11

- II Corinthiens 3 :12 + 16-18

 

Jean-Paul Morley

Culte du 28 mars 2010

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18 juillet 2011 1 18 /07 /juillet /2011 17:22

L’espoir, malgré

 

Mots clefs : société, royaume de Dieu

 

Ces derniers temps, en m'interrogeant sur ce que je devais prêcher lors de ce culte d'Assemblée Générale, je me sentais coincé entre 2 impératifs :

               - ne pas faire comme s'il ne se passait rien dans le monde, avec son actualité aussi dramatique qu’inquiétante ; ne pas l'occulter ;

               - en même temps, lors de cette Assemblée Générale, parler de ma joie au sujet d'une paroisse qui, elle, va bien.

 

Alors j’ai été voir les textes qui nous sont proposés pour ce dimanche. Et à ma stupeur émerveillée, j'ai eu l'impression qu'ils avaient été choisis, écrits, et transmis précisément pour nous aujourd'hui :

               D'abord au Sinaï, quand le peuple a soif et se rebelle (Exode 17 : 1-7) ;

               Puis à Rome, à l'Eglise de laquelle Paul écrit de se réjouir malgré les souffrances (Romains 5 : 1-5) ;

               Enfin en Samarie, où Jésus, face à la Samaritaine, comprend l'ampleur de sa mission (Jean 4 : 34-38)

           

Le peuple est en plein désert. Fuyant l'Egypte, il vient de faire une longue marche, il campe, et il a soif. Mais il n'y a pas d'eau. Alors il se rebelle, et cherche querelle à Moïse, à Dieu lui-même. « Pourquoi ? Pourquoi nous avoir fait sortir d'Egypte, si c'est pour mourir de soif au désert ? En Egypte, nous étions exploités, mais nous avions le nécessaire et la sécurité... »

Et peut-être ces temps-ci, aurions-nous envie de sympathiser avec ce peuple et de questionner Dieu : « Pourquoi ? Pourquoi nous envoies-tu des tsunamis, des accidents nucléaires ou notre impuissance devant la folie meurtrière et massacrante d'un Kadhafi ? » ?

Et peut-être Dieu, à travers ses prophètes, ou un nouveau Job, pourrait-il répondre :

               « Pourquoi me cherchez-vous querelle, à moi ?

               Qui construit les centrales nucléaires ?

               Qui oublie la violence possible de la nature ?

               Est-ce vous qui l'avez créée ? En avez-vous oublié non seulement la force, mais aussi la beauté, la générosité, la richesse ; oublié que c'est elle qui vous a donné la vie et donné cette capacité de créer ?

               Et qui massacre ses congénères et jusqu'à son propre peuple ?

Qui tergiverse longtemps, parfois avec cynisme ou lâcheté, avant de répondre aux appels au secours d'une population menacée ? »

 

De quoi réfléchir. Mais le peuple au désert a de plus en plus soif, comme nous aussi avons soif, de sécurité et de paix. Alors peut-être voudrions-nous reprendre la parole devant Dieu, pour une question plus fondamentale :

               « Pourquoi nous avoir donné la liberté, si elle est si dangereuse entre nos mains ?

               Pourquoi nous avoir donné la responsabilité, si nous n'en sommes pas à la hauteur ?

Pourquoi nous avoir donné la liberté, y compris de créer même le nucléaire, et y compris de nous tromper, et y compris de nous autodétruire, et y compris d'être lâches ou cyniques, ou sans scrupule ni pitié ?

N'étions-nous pas mieux en Egypte, au jardin d'Eden, dans notre tranquille ignorance et irresponsabilité, comme nos frères animaux ?

               Pourquoi devoir mourir, et souffrir, et souffrir de voir les autres mourir ? »

 

Au peuple qui a soif au désert, Dieu ne répond pas. Mais il agit. Par Moïse et par quelques anciens, qui frappent le rocher, et l'eau jaillit, la vie jaillit. A nous non plus, Dieu ne répond pas. Il nous laisse réfléchir. Mais il agit, et donne l'eau, la vie, le renouveau.

Et Il nous donne une Eglise, une paroisse qui va bien, heureuse, pleine de santé et de vie, pleine de nouveaux membres et d'amitié, croyante et confiante.

Mais là, peut-être êtes-vous un peu choqués… Là, j'ai donc hésité. Quelle audace ! Comment mettre en balance notre petite Eglise - en pleine forme, certes – avec les actualités terribles de ce mois de mars 2011, avec ce monde en déchirements, angoissé et souffrant ?

Peut-on oser un tel vis-à-vis ?

              

Oui, parce que ce contraste est  une promesse. Le contraste, on le voit, il est criant :

D'un côté, d'abord le Japon, qui nous renvoie les limites de nos projets prométhéens, ‘babéliens’ – comme la tour de Babel - : non, nous ne maîtrisons pas et ne maîtriserons jamais toutes les forces de la nature et de l'univers : malgré tous nos efforts et nos progrès, notre intelligence et notre organisation, la nature restera toujours plus forte que notre maîtrise – or nous avons inventé de quoi déclencher l'apocalypse. Et en attendant, que de victimes déjà, hommes, femmes, enfants, qui nous ressemblent tant, et qui sont emportés, ou brisés, ou déjà irradiés, déjà condamnés.

De ce même côté du contraste, la Lybie ou la Côte d'Ivoire, qui nous renvoient à notre propre inhumanité : la possibilité qu'a l'humanité de produire ce qui nous semble des monstres, comme ces dictateurs qui pourtant restent des êtres humains. Et la possibilité, qui a failli advenir dans le cas présent, de renoncer à intervenir quand nous voyons un enfant, ou un peuple, se faire assassiner sous nos yeux, en nous contentant de bonnes paroles d'appel au calme...

Cela, notre monde et notre humanité en ce mois de mars 2011, c'est un côté du contraste.

 

Et de l'autre côté, notre minuscule et dérisoire paroisse ? Notre Eglise qui va bien, heureuse, fraternelle, unie, généreuse, active, en croissance ? Impossible, bien sûr. Dérisoire.

Pourtant, le Ciel nous dit le contraire. Le Ciel nous dit que ‘si’, que c'est avec cela, avec nous, chacun de nous, avec une paroisse comme celle-là, minuscule et dérisoire bien sûr, mais qui se nourrit de l'amour de Dieu et qui en vit ; c'est avec cela, avec la force tranquille de chacun de nous pour vivre chaque jour l'amour du prochain, le respect, la loyauté, la solidarité, l'envie du bien de tous ;

c'est avec cela, avec nos vies et nos Eglises, et avec du temps, c'est avec cela que Dieu construit son Règne.

Oh, certes, il faut encore infiniment plus de patience à Dieu qu'à nous : Lui, Il nous attend et nous invite depuis un million d'années, en tout cas depuis 2000 ans. Mais c'est pourtant bien comme cela, avec ce qui se vit modestement comme ici, de fraternité, de don, de respect mutuel, de confiance, que se construit une humanité plus belle, plus saine, plus fraternelle, et que Dieu tisse jour après jour, sans se décourager, mais avec le temps, la tapisserie de son règne... Pour l'instant, nous n'en voyons que l'envers, moche, boursouflé, incohérent, mais quand nous en verrons l'avers, le bon côté, nous en verrons le dessin extraordinaire, l'harmonie des couleurs, et la paix qui y régnera.

 

            Ce long travail, cette longue patience, c'est aussi ce que l'Evangile appelle la puissance de Dieu qui s'accomplit dans la faiblesse. Et c'est ainsi que Dieu tisse, y compris avec cette communauté qui va bien, parce que nous savons y donner, y recevoir et y vivre en frères et sœurs. Dieu travaille sans cesse, à travers nos chaos, à l'accouchement d'une humanité nouvelle. N'est-ce pas ce que dit Paul aux chrétiens de Rome, face aux difficultés et à quelques divisions ? « Nous nous réjouissons même de nos souffrances, car nous savons que la souffrance produit la résistance à l'épreuve, et la résistance, l'espérance. »

 

Mais bien sûr, nous ne pouvons pas en rester là.

Jésus fait une incursion en Samarie, le pays voisin, donc rival, où l'on prie le même Dieu mais autrement, et avec lequel on ne parle donc pas. Arrivé au puits, Jésus demande de l'eau à une femme du village, qui s'en étonne de la part d'un Juif. S'ensuit un débat qui bouscule puis bouleverse cette Samaritaine, et que Jésus ponctue en affirmant que «le moment est déjà venu où les vrais adorateurs adoreront le Père en esprit et en vérité», et non plus en fonction de tel ou tel lieu saint ou telle ou telle religion.

Comme étonné parce qu'il vient peut-être de découvrir lui-même, Jésus semble ensuite réfléchir à haute voix devant ses disciples revenus du marché, et, regardant les champs encore verts, il déclare :

«Encore quatre mois avant la moisson, dites-vous, mais moi je vous dis : les grains sont mûrs, la moisson est prête !» Et il envoie ses disciples moissonner.

Les grains sont mûrs, contrairement à nos découragements devant ces centrales nucléaires en péril et ces dictatures sans respect, et Jésus insiste : Regardez bien les champs, les grains sont mûrs !

Les avons-nous bien regardés, nous, ses disciples, ses moissonneurs, avons-nous vu tout ce qui bouge, tout ce qui germe, tout ce qui pousse, ici même et ailleurs, avons-nous pris conscience d'à quel point nous sommes utiles et combien nous aidons le monde à mûrir, en vivant de l'Evangile dans cette paroisse et dans chacune de nos vies personnelles ?

Voyons-nous à quel point les grains sont mûrs et combien le monde nous attend, nous les arroseurs et les moissonneurs du Père ?

Dieu nous attend, vous et moi, avec patience, espoir et passion, et c'est avec nos vies, avec nos Eglises, avec nos gestes, oui : nos vies, nos Eglises et nos gestes, qu'Il répond à l'humanité anxieuse.

              

Le peuple au désert avait demandé : «Le Seigneur est-il parmi nous, oui, ou non ?»

Oui, il l'est. Merci, O Père !

 

Amen

 

J.P. Morley

Culte du 27 mars 2011 (Assemblée Générale)

 

Lectures :            Exode 17 : 1-7

                              Romains 5 : 1-5

                              Jean 4 : 34-38

 

 

 

 

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15 juillet 2011 5 15 /07 /juillet /2011 11:34

Le travail

 

Mots clefs : Société, éthique

 

 

Aujourd’hui, 1er mai, c’est la fête du travail – pas de chance, un dimanche !...

Bonne occasion pour parler du travail à la lumière de la Bible.

Et c'est aussi le jour où nous accueillons quatre nouveaux membres du Conseil Presbytéral.

 

Commençons par un regard surpris sur notre vie sociale, pour être ensuite étonnés par la Bible.

 

Un des paradoxes de nos sociétés, c'est qu’elles sont d'un côté très libres, permissives, individualistes, relativement très respectueuses des droits de la personne – même si on pourrait mieux faire encore ; mais d'un autre côté elles sont extrêmement contraignantes.

               D'un côté nous sommes exceptionnellement libres dans beaucoup de domaines : pensée, choix politiques, religion, mœurs, vie privée, goûts, loisirs, styles, consommation, habillement, famille, etc... Non que tout soit également possible pour tous, évidemment et loin de là ; non que notre liberté ne soit largement canalisée par la mode, le regard des autres, l'impératif de consommer et de se comporter dans les normes admises, mais il n'empêche : nous bénéficions d'une très grande liberté et autonomie, avec son corollaire : à chacun l'écrasante charge de se débrouiller par soi-même...

               Et c'est là qu'apparaît l'autre côté, l'autre versant du paradoxe : très libres, oui… sauf dans un domaine, le travail, l'entreprise, la profession ou l'école. Dans ces sphères du travail, la liberté disparaît, remplacée non seulement par le labeur, les horaires et la fatigue, non seulement par les contraintes de performance ; mais aussi par un milieu d'où la morale semble avoir été le plus souvent chassée, absente ou oubliée. Tous ceux qui travaillent ou ont travaillé en entreprise savent à quel point, même s’il existe de remarquables et exemplaires exceptions, ces lieux peuvent être d'une très grande violence institutionnelle et personnelle, des lieux où, en haut comme en bas de l'échelle, on se permet souvent le cynisme, le mépris, la manipulation, le chacun pour soi, la pression, le harcèlement, les magouilles, l'humiliation... Cette semaine encore, un homme de 57 ans s'est immolé sur le parking de son lieu de travail. Quatre jours avant la fête du travail. Des lieux ou sont autorisées et parfois encouragées la perversité et la sauvagerie des relations, comme nulle part ailleurs – sauf peut-être au volant ou dans le secret de certaines familles. Et cela par des personnes parfaitement courtoises et bien élevées par ailleurs.

On le voit, il s'agit d'une des plaies de notre temps. Et qui, comme le notent les observateurs, loin de se corriger s'est aggravée depuis une vingtaine d'années, dans une sorte de cynique laisser-faire.

Nous le savions sans doute : le milieu de travail n'est pas vraiment un lieu où dominent les sentiments chrétiens.

              

Or le travail est le principal de notre vie. Principal en temps, en préoccupation, en image de nous-même, en conséquences matérielles et familiales.

Alors pourquoi ?

Pourquoi dans une société aussi libre, l'activité principale ne l'est-elle pas ? Anomalie, aberration ?

Pas vraiment. Parce que c'est tout simplement le travail qui structure la société, la fait tenir ensemble et tourner. C'est lui qui produit tout ce dont nous ne pouvons plus nous passer : pas seulement les biens que nous engloutissons en quantité déraisonnable, mais aussi la santé, l'éducation, la sécurité ; nos libertés justement. C'est lui qui en quelque sorte achète notre liberté. Serviteurs du travail, pour être libres en dehors...

Et c'est pour cela que le travail reste une telle valeur, s'obstine à rester la valeur centrale. Cela commence avec les enfants auxquels on apprend très vite qu'il faut travailler, se contraindre, se soumettre, faire des efforts, se battre.

 

Mais la Bible, elle, qu'en dit-elle ?

C’est simple : elle ne tient pas le travail pour une valeur. Même si on y trouve quelques rares bosseurs remarquables, comme Jacob ou son digne fils Joseph, ou la femme vaillante des Proverbes. Mais personne, me semble-t-il, dans le Nouveau Testament.

Et la Bible ne structure pas la société autour du travail, mais autour de la Loi de Moïse, c'est à dire du Droit. C'est là, pour elle, l'essentiel, et de loin ; à l'inverse de nos sociétés actuelles, régies par l'économie.

Ce que disent les textes lus aujourd’hui, c'est que le travail non seulement n'est pas une valeur mais qu’il est même une malédiction, le résultat précisément de notre liberté :

« - Tu manges la pomme ? D'accord, dit Dieu : maintenant tu sais, et tu es libre. Mais tu sentiras qu'il faut travailler et peiner pour être libre. Tu mangeras à la sueur de ton front. » Et cette contrainte perpétuelle est jusqu’à ce jour la contrepartie de notre extraordinaire capacité à créer et à progresser.

 

Pourtant Jésus nous invite quand même à ne pas nous inquiéter de notre travail et de nos revenus, et à faire confiance, en regardant les choses matérielles comme secondaires et données en plus, comme pour les oiseaux du ciel...

Mais les textes bibliques disent aussi que l'homme et la femme sont créés pour dominer la terre, en consommer les fruits, la nommer et la garder, autrement dit pour participer à la Création et poursuivre le travail de création de Dieu lui-même, entretenir et cultiver sa vigne. Et ils annoncent le sabbat final, universel, que préfigure l'idée stupéfiante du Jubilé : tous les 50 ans, le travail s'arrête, les terres sont rendues, les esclaves libérés, les dettes annulées, la terre et les humains se reposent.... Et la solidarité s'impose.

               Une sacrée utopie, bien sûr, jamais vécue dans la réalité, mais peut-être une utopie sacrée...

               Une utopie incroyablement révolutionnaire, placée comme un horizon à approcher.

               Une utopie qui pourrait peut-être nous guider aujourd'hui : d'accord, le travail – ou son absence – est le lieu des galères, des contraintes et des humiliations. Mais, qu'il soit professionnel ou bénévole, c'est aussi le lieu où, tous, nous pouvons participer à la Création, avec pour horizon ce jubilé, ce sabbat universel.

Comment ? De trois façons.

            D'abord, partout où nous avons une once de responsabilité - comme chef d'entreprise, chef de service, chef scout… - travailler à ce que justement le travail ne soit plus ce lieu de cynisme ou d'humiliation, ni ce qui dévore ou domine nos sociétés, mais un lieu où s'inventent d'autres formes de relations et où chacun ait sa place, comme on l'essaie dans nos communautés et ici même.

               Ensuite réfléchir ensemble. Réfléchir au partage du temps, du travail et du revenu, au partage des responsabilités et des décisions, au partage des places, qui brise les plafonds de verre ou de couleurs.

               Enfin, tout simplement redécouvrir que notre travail, quel qu'il soit, participe à la Création et à la naissance permanente d'une humanité plus belle...

Comme cette femme qui passe près d'un chantier où trois hommes taillent des pierres :

Au premier, elle demande ce qu'il fait. Réponse : « Que croyez-vous ? Je gagne ma vie ! »

Au deuxième, même question. Réponse : « Vous le voyez, je taille des pierres ! »

Au troisième, même question. Réponse : « Je construis une cathédrale ! »

Les trois font la même chose. Mais le premier subit son travail. Le deuxième en est fier. Le troisième participe à la Création. Et celui-là est heureux...

A nous donc de ressembler au troisième. Quand nous travaillons, nous travaillons pour l'humanité, même si nos fonctions sont modestes, même si notre chef, notre prof ou nos subordonnés sont odieux, même si les contraintes sont trop lourdes...

Au fait, à l’occasion, dites-le à vos enfants : « Quand vous travaillez en classe, vous participez au progrès de la Création, et cela rend heureux !! »

 

De même pour vous, membres et nouveaux membres du Conseil Presbytéral. Le travail, parfois lourd, parfois exigeant, le travail du Conseil est un vrai travail. Une vraie responsabilité. Un vrai engagement. Mais il participe à la Création, il fait vivre une paroisse, cette belle et accueillante paroisse que vous aimez assez pour accepter cette tâche – et cette paroisse serait-elle petite et vieillissante, qu'il en serait de même. Ce faisant, vous faites vivre l'Evangile et faites vivre et grandir l'humanité et la Création.

 

A nous tous, Dieu, le Père de l'humanité, nous assure que, sans le savoir, nous avons participé à la Création et porté le monde toute cette semaine et toute cette année ; que sans le savoir d'autres ont bu à notre source, comme nous avons bu à la leur ; sans le savoir notre travail, quel qu'il soit, professionnel ou bénévole ou scolaire, a servi, construit, soutenu, nourri, comme nous avons, sans le savoir, été soutenus et nourris. Sans que nous le voyons, Dieu nous a donné d'être utiles, tous, pour la Création.

 

Et le Père nous donnera encore son Esprit, sa force, son audace, son regard qui permet de voir à l'horizon et d'avancer vers le Jubilé promis.

 

Amen

 

J.P. Morley

Cultes du 1er mai 2011

 

 

Lectures :            Genèse 1: 27-29 et 3 : 17-19

                              Lévitique 25 : 8-12

                              Luc 12 : 22-25

 

 

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13 juillet 2011 3 13 /07 /juillet /2011 18:28

Marie de Magdala

 

Mots clefs : grâce-gratuité, foi

 

       Marie de Magdala. Celle que Jésus ressuscité appelle par son prénom. Juste par son prénom. Et qui croit : le crucifié est vivant. Elle ne se demande pas comment, il est simplement là, devant elle, c'est tout. Et c'est... tout !

            Mais qui est cette Marie de Magdala, la toute première personne à qui Jésus ressuscité adresse la parole ? Un personnage méconnu de la tradition, d'accord, mais pas marginal. Au contraire, c'est un personnage vraiment surprenant, plusieurs fois cité dans les quatre Evangiles.

            D'abord, elle ne s'appelle pas Marie-Madeleine. Magdala, c'est le nom de son village. Marie de Magdala, ce n’est pas comme Marie-Chantal, ce serait comme Marie de Pentemont, de Luxembourg, ou de Montpellier.

            Ensuite... elle a un rôle extraordinaire, unique, privilégié.

Qui est-elle donc ? Au départ, une malheureuse. Sept esprits mauvais l'habitent et la possèdent ; sept, c'est beaucoup. Cela veut dire des esprits physiques, qui l'affrontent dans son corps ; cela veut dire des esprits mentaux, qui la rendent à moitié folle ; et cela veut dire des esprits moraux, qui la font vivre de façon honteuse et rejetée par la majorité... Certains ont même voulu croire que c'était la femme qui a versé du parfum sur les pieds de Jésus et les a essuyés avec ses cheveux. Ses cheveux ? Longs et libres, donc ? Alors, à l'époque, c'était en plus une prostituée !

       Oui, au début, Marie de Magdala était mal partie. Et puis elle a rencontré Jésus. Et Jésus ne l'a pas jugée. Ou plutôt, Jésus a su que, malgré les apparences, malgré sa vie cabossée, malgré son indignité, elle valait beaucoup mieux que cela. Il a cru en elle. Il lui a parlé. Il lui a sans doute imposé les mains. Et c'est comme si elle était née de nouveau, à une vie nouvelle. Il a cru en elle. Et elle a cru en lui, le Fils de Dieu, sans savoir encore que c'était le Fils de Dieu.

            Et après ? Après, elle est devenue une actrice centrale de l'Evangile, totalement discrète, modeste et méconnue, mais centrale. D'abord, elle est entrée dans le groupe des disciples qui suivaient et même servaient Jésus. Il y avait bien sûr les douze compagnons de Jésus, les disciples, mais aussi plusieurs femmes, tout aussi croyantes, tout aussi confiantes, tout aussi engagées. Tout aussi disciples. Peut-être qu'elles étaient également présentes au dernier repas, la première Sainte Cène, la première communion.

Ensuite, à partir de l'arrestation et de la condamnation de Jésus, c'est tout simplement elle qui, à part Jésus, est le personnage principal et l'actrice capitale de l'après-croix.

            Ecoutez seulement.

       Elle est là, au pied de la croix de Jésus, alors que tous les disciples hommes se sont débandés, sauf Jean. Elle est encore là à la mise au tombeau de Jésus, seule avec une autre Marie. Le surlendemain, après le sabbat, elle emmène avec elle cette autre Marie et une troisième femme, Salomé, pour embaumer le corps de Jésus.

            C'est à elles, et elles seules, qu'un ange apparaît, et annonce la résurrection. Et c'est à Marie de Magdala, et elle seule, que Jésus lui-même apparaît, vivant, pour la première fois. Quel honneur ! C'est alors elle qui prévient les disciples, et elle seule suit Pierre et Jean qui montent au tombeau. Elle les voit hésiter, entrer, y croire à moitié. Elle, elle reste là et elle est la première à qui Jésus adresse la parole, directement, pour l'appeler par son nom, « Marie ». Et elle sera enfin la première à annoncer la résurrection aux autres disciples : elle est le témoin privilégié. Le premier apôtre. La première évangéliste. La première missionnaire. Chaque fois, c'est elle qui est là et agit. Et c'est la seule. Et c'est elle qui a montré le chemin de la foi aux apôtres. Elle. Marie de Magdala, la modeste. C'est elle le fil qui relie tous ces événements côté humain, c’est elle le pivot, l'actrice discrète mais nécessaire de l'après-croix du Christ. Elle, celle qui était possédée de sept démons, peut-être rejetée, certainement jugée, est devenue le centre des événements de la résurrection. La première à être ressuscitée avec le Christ. Parce qu'elle a cru, simplement accepté de croire quand Jésus l'a appelée par son nom, sa vie a changé.

 

Alors, vous n'avez pas besoin d'être possédés par sept démons, ni quatorze, ni quatre – mais on en a toujours un ou deux petits, pas vrai ? Vous n'avez pas besoin d'en avoir sept, mais depuis ces années que vous cheminez au catéchisme, vous avez, la plupart d'entre vous, accepté de faire ce saut, accepté d'ouvrir une porte, accepté d'entrer dans la foi chrétienne, accepté de croire, comme cette Marie de Magdala, même si c'est encore parfois un peu à tâtons, accepté de dire « Oui, Jésus est le Christ, mon Christ ». C'est ce que vous allez confirmer maintenant, publiquement, en traversant l'eau de votre baptême... et cela nous émerveille !

 

Mais je voudrais revenir sur cette dernière scène, la rencontre du ressuscité.

Essayons de bien l'imaginer. Le dimanche matin, Marie de Magdala est montée rendre les derniers hommages à l'homme en qui elle avait cru. Mais la pierre est roulée, le corps n'est plus là. Affolée, elle court, elle descend prévenir les disciples ; Pierre et Jean montent devant elle, voient le tombeau vide, ils croient plus ou moins, mais ils rentrent chez eux. Elle, elle reste là. Et elle pleure. Elle tourne la tête encore une fois vers le tombeau...si jamais elle s'était trompée, si on avait mal regardé, s'il était là quand même, dans un coin. Et elle voit deux hommes, lumineux. « Pourquoi pleures-tu ? », demandent-ils.

Pourquoi elle pleure ? On a volé le corps de cet homme qui avait cru en elle, qui l'avait rendue à une vie normale, dont les paroles rendaient vivant, cet homme en lequel elle avait cru et qui a été tué d'une façon incompréhensible, et elle ne peut même pas lui rendre les derniers honneurs. Et elle ne pleurerait pas ?

Elle se retourne encore, et voit Jésus. Elle ne le reconnaît pas, de toute façon il est mort, elle le prend pour un jardinier. « Si c'est toi qui l'as emporté, dis-moi où tu l'as mis, et j'irai le reprendre. » Jésus ne répond pas. Mais il l'appelle juste par son prénom, un simple prénom : « Marie ». Et parce qu'elle a été appelée par son prénom, elle, par son prénom, elle le reconnaît, elle comprend, c'est lui, Jésus, il est vivant ; elle ne sait pas comment, mais il est vivant, il était mort, elle l'a vu, mais il est là, vivant. Elle aussi ne dit qu'un mot « Rabbouni », « maître » et cela suffit. Elle veut le retenir, le garder pour elle, pour eux tous, mais il parle, et elle comprend qu'il ne faut pas. Alors elle redescend, elle n'a plus besoin de courir, elle est en paix, et elle annonce, la première, que Jésus, le crucifié, est vivant : elle l'a vu !

 

          Alors je voudrais m'adresser à vous, à chacun, en particulier si vous avez des doutes ou des questions, si vous n'êtes pas vraiment sûr de croire en Dieu ou de croire comme il faut...

            Je voudrais vous dire d'écouter. Pas moi. Mais d'écouter : Dieu vous appelle par votre prénom. Il vous attend. Il vous espère. Ecoutez, en vous-même, dans le silence de votre esprit. Ecoutez si Dieu n'est pas en train de vous appeler par votre prénom, et de vous dire : « Je t'aime. Je te connais bien et je crois en toi. Je voudrais faire de belles choses avec toi, te faire encore vivre de belles choses, être ton compagnon secret pour toute ta vie ; ne crois pas que tu n'as pas besoin de moi ; tu sais, je peux donner de la confiance, de la paix, de vrais conseils, de la force et du courage, de l'assurance, de la joie, beaucoup de joie, et ma lumière pour voir clair... »

            Ecoutez-le, en silence, dans votre esprit, ou votre cœur, Il est en train de vous dire cela, de vous attendre et de vous espérer, chacun, chacune ; Il est en train de vous appeler, chacun, chacune, par son prénom. Il suffit de répondre d'un mot « Rabbouni », maître. Ne fermez pas la porte, c'est quelqu'un qui vous aime !

                                               Et ce quelqu'un, c'est Dieu…

 

Amen

 

J.P. Morley

Cultes du 12 juin 2011 (Confirmations)

 

Lecture :  Luc 8 : 1-3

 

 


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12 juillet 2011 2 12 /07 /juillet /2011 11:22

Le naufrage de Paul

 

 

Mots clefs : épreuve, initiation, conversion, Paul

 

 

Paul, l’apôtre, provoque un scandale parmi les juifs puisqu’il prêche en plein temple de Jérusalem quand Jésus, ce crucifié, est le Christ. La foule veut le lyncher, mais une escorte de soldats romains intervient et l’arrête. Confronté au grand conseil, le Sanhédrin, il persévère, accroît le scandale, au point qu’un groupe complote pour l’assassiner à la faveur d’une embuscade.

Mais Paul est déféré devant le gouverneur romain et le roi, qu’il cherche aussitôt à convertir. Finalement, citoyen romain, il en appelle au jugement de l’empereur lui- même, à Rome. Paul espère en toute simplicité être présenté à l’empereur pour pouvoir le convertir au Christ, et tout l’empire avec lui...

Paul va donc partir pour Rome, conquérant en esprit mais prisonnier, enchaîné et entouré de soldats armés, avec le fol espoir de gagner tout l’empire à la foi au Christ. Pour cela, il faut traverser la méditerranée : un beau voyage en bateau. Nous sommes en septembre, tout va bien ; ils s’embarquent, longent la cote, passent au-dessus de Chypre, parce que la mer et le vent sont mauvais, arrivent en Turquie.

 

C’est à partir de là que le voyage de Paul va prendre une autre dimension. Il va vers Rome pour un jugement, son jugement. Qui sera radical puisque ce qui sera jugé, c’est tout ce en quoi il croit et à quoi il consacre sa vie. Un peu comme nous, qui allons aussi vers notre jugement, le jugement de notre vie… Ce voyage de Paul est donc plus qu’un simple déplacement, il prend en filigrane une dimension de révélation et devient quasi initiatique, pour lui et plus encore pour ses compagnons. Peut-être aussi pour nous, qui parfois faisons de semblables voyages en nous-mêmes.

Car Paul n’est pas le seul embarqué dans ce bateau : un équipage de marins, égyptiens ; des commerçants, grecs ou turcs ; des soldats, romains ou mercenaires ; d’autres prisonniers, de toutes origines. Et nous, lecteurs. Avec, tous, des projets : faire du commerce, convoyer de prisonniers, présenter sa défense…. ou convaincre l’empereur de se convertir !

Mais la mer est mauvaise, le vent est contraire, le bateau peine et est contraint de faire un large détour par le sud pour contourner la Crête… Tous ces projets embarqués dans le même bateau, son ralentis, rencontrent une opposition, sont contraints à des détours…. Un peu comme nos projets à nous.

On navigue, oui, mais on navigue sur la vie, et la vie c’est comme l’eau : des forces incertaines, imprévisible, menaçantes… Ils arrivent malgré tout à un port de Crête, nommé Bons Ports. Quand on est arrivé à bon port, mieux vaut s’y arrêter… Surtout qu’on est maintenant fin octobre, la saison devient mauvaise, la météo pas bonne, et, petit détail, le jour du grand pardon, le Yom Kippour, vient de passer : comme si arrivés à bon port après le grand pardon, ils étaient déjà au bénéfice de la grâce. Alors Paul invite l’équipage et les officiers romains à passer l’hiver sur place, puisqu’à l’époque on ne navigue pas l’hiver ; sinon, dit-il, le bateau et ses occupants seront en grand péril.

Mais qui est ce Paul ? Qu’est-ce que ce prisonnier ? Que connaît-il de la mer ? L’officier préfère de loin accorder sa confiance au métier et aux compétences du capitaine, plutôt qu’aux      visions d’un prisonnier vaguement illuminé… Erreur, car Paul annonçait son doute que l’arrivée à Bons Ports était déjà un cadeau de Dieu, et que prétendre aller au-delà par la seule force de sa volonté, c’était courir de vrais risques pour ses projets et pour sa vie. Mais le capitaine et l’officier estiment que Bons Ports n’est pas assez bon pour passer l’hiver, et qu’il serait meilleur d’aller juste un peu plus loin, sur la côte. Juste un peu plus loin. Nous sommes toujours comme cela : on veut toujours juste un petit peu plus, en tous domaines.

Seulement les forces qui nous entourent sont généralement beaucoup plus puissantes que nous, et le vent du sud, favorable, grâce auquel le bateau repart, tourne vite en vent du nord, descendu des montagnes, qui éloigne le bateau de la côte ; il l’entraîne irrésistiblement vers la haute mer, le sud, l’Afrique. Rapidement le ciel se couvre, le vent devient irrésistible, l’orage s’en mêle, le jour devient nuit, et l’équipage perd toute maîtrise d’un navire  livré au vent ; il ne sait même plus ou ils sont emportés. Equipage et officier voulaient  un meilleur port pour protéger biens et projets, et les voilà tous jetés en pleine tempête, où ils ne maitrisent plus rien.

C’est la première étape, la première leçon de ce voyage d’initiation : écouter. Faire confiance à ce que Dieu donne et le recevoir, sans demander autre chose ; faire confiance à ce que Dieu conseille et l’écouter, même quand on se sent fort. Bien sûr sa voix, ici la négligeable voix d’un prisonnier enchaîné, négligeable, n’est jamais fracassante, elle est toujours modeste et ténue, mais c’est elle qui sait, elle qui dit vrai. L’erreur aura donc été de passer outre, de ne pas recevoir ce qui était donné sans en vouloir un petit peu plus, comme toujours, parce qu’on est sûr de pouvoir compter sur ses propres forces.

Toujours est-il que voilà le bateau jeté en pleine tempête, en pleine nuit. Comme nous le somme parfois. Par sa propre faute. Et nous aussi, souvent, par la nôtre. Alors, ce qu’on voulait préserver, on doit le jeter par-dessus bord : l’équipage jette à la mer toute la cargaison, raison d’être du navire, et le lendemain il jette l’équipement même du navire, tout ce qui n’est pas indispensable à sa survie immédiate. C’est la deuxième étape de ce voyage initiatique : se débarrasser de tout ce qui encombre, de choses auxquelles on tient - forcément, sinon nous n’aurions pas à nous en débarrasser. Des objets, des biens, des attachements, des rancunes, des regrets, des sécurités, des habitudes, des certitudes… S’en débarrasser, s’en libérer.

Parce que, là, d’avoir trop voulu les protéger, c’est la totalité que les marins doivent jeter à contre-cœur, contraints faute d’avoir encore le choix.

 

Mais le bateau continue de se perdre dans la nuit, le vent et l’inconnu, et tous à son bord jeûnent pendant des jours, dans ce navire secoué de déferlante en déferlante. Nous aussi nous connaissons ces périodes de jeûne et de nuit, ces tunnels interminables, ballotés sans lumière et sans matins ; et peut-être devons-nous traverser ces remises en cause pour accéder à nous-même et grandir ? Alors Paul reprend la parole : s’ils avaient écouté sa voix, s’ils avaient écouté la voix de Dieu... Mais Paul ne menace plus, il parle au contraire maintenant de courage, de confiance et d’espoir. Et il promet : personne ne sera perdu. Seul le bateau. Peut-être n’entendent-ils pas, serrés par l’angoisse. Peut-être n’entendons-nous plus les paroles d’espoir, quand c’est trop noir pour nous.

Pourtant, une terre approche. De nuit, il est impossible d’aborder, alors les marins mouillent quatre ancres à l’arrière pour immobiliser le bateau. Et ils cherchent à quitter le navire, en préparant pour eux seuls le canot, sous prétexte de fixer d’autres ancres.

Nouvelle erreur, et troisième étape, troisième leçon : on ne se sauve pas seul, on ne se sauve jamais seul. Si on brise la solidarité, c’est tous qui sont perdus, même celui qui croyait se sauver seul, et qui ne s’en remettra jamais. Mais Paul prévient l’officier romain : si les marins quittent le navire, tous seront perdus. Cette fois, l’officier l’écoute, et les soldats tranchent les cordes du canot, que la mer emporte…

Car maintenant vient la quatrième étape : obéir, et s’en nourrir ; obéir enfin à cette voix qui vient de plus loin. Les soldats, pourtant les geoliers de Paul, lui on obéi pour que les marins restent à bord. Puis tous obéissent à cette voix qu’ils n’avaient pas écoutée, parce que cette voix, c’est celle qui sait, et qui sauve : une parole de vie, tout simplement                    

Et justement, aussitôt après l’incident du canot, Paul incite les uns et les autres à se nourrir : la parole de Paul, parole de vie, va se concrétiser et se symboliser tout à la fois, dans un repas à la fois réel et symbolique, puisque Paul ne va rien faire d’autre que célébrer la Cène : ‘’Paul prit du pain, il remercia Dieu devant tous puis il le rompit, et le mangea , tous reprirent courage, et mangèrent’’. Paul, le prisonnier, est devenu le sauveur, ou son témoin. Ce voyage, cette tempête, son bien un itinéraire spirituel, et le repas de ces voyageurs en perdition est une Sainte Cène, un repas qui redonne force, qui redonne espoir – d’autre repas, d’autres matins –, qui redonne solidarité et fraternité, puisque ensemble on le reçoit.

Et le matin vient réellement, le premier depuis 14 jours. Enfin le jour se lève sur une mer moins violente, et une terre est là, devant, toute proche, inconnue. Forcement inconnue : après une épreuve, aucune terre n’est plus comme avant, toute terre sera nouvelle, inconnue, promise. Et devant leurs yeux, une plage, calme. Le salut. Alors ils coupent tout : les amarres, les ancres, les rames, et ils se laissent enfin guider, porter vers ce rivage. C’est enfin la cinquième étape, qui était peut-être le but de cette longue épreuve : lâcher prise, laisser aller, se confier à plus grand, plus fort, plus sûr, plus bienveillant que soi ; quitte à abandonner le vieux navire, qui s’est échoué, qui a échoué ; quitte à abandonner notre ancienne vie, celle du chacun pour soi, parce qu’elle ne peut qu’échouer ; comme on abandonnera, le moment venu, notre corps fatigué.

Mais en approchant du rivage, le navire s’ensable, s’échoue sur un banc, puis se brise par l’arrière, sous le choc des vagues…  Alors chacun, c’est la sixième et ultime étape, chacun, à la nage ou accroché à un morceau d’épave, marin, soldat, commerçant ou prisonnier, chacun rejoint la rive. Tous sont sauvés, pas un seul n’est perdu. On ne se sauve pas seul. Mais on se sauve parce qu’on a confiance, et il y fallait ce baptême à travers l’eau.

Le rivage est celui de l’île de Malte. Aussitôt, les habitants accourent, les entourent, les accueillent, les réchauffent, les nourrissent, les hébergent. Paul y restera tout l’hiver, puis parviendra à Rome. Il y mourra ; mais l’empereur se convertira, trois siècles plus tard…

 

Sacré voyage, sacrée traversée, sacré baptême !

Qu’ont-ils découvert ? En six degrés, en six étapes, et quelques erreurs, ceci :

1er étape : écouter : écouter cette voix ténue qui vient d’ailleurs ;

2e étape : se dépouiller : renoncer à tout ce qui nous encombre et nous trouble la vue ;

3e étape : ne jamais vouloir se sauver tout seul, mais tous ensemble ;

4e étape : obéir et se nourrir de ce qui nous est donné de plus loin, de plus haut ;

5e étape : lâcher prise, et confier enfin sa vie, confier vraiment sa vie : c’était là qu’il fallait en venir ;

enfin, 6e étape, parvenir au rivage, où l’on est attendu et accueilli…

 

C’est bien un véritable parcours initiatique, caché dans le texte des Actes, que raconte le voyage de Paul. C’est tout simplement l’itinéraire de la foi, balisé par le jeûne, la Sainte Cène et le baptême. Et tous ont en quelque sorte traversé la mort, et sont ressuscités.

Un parcours qui ressemble peut-être à nos vies, à nos voyages intérieurs, avec nos épreuves, nos erreurs, nos tempêtes et nos nuits. Peut-être avons-nous à traverser des remises en question, avec cette promesse : choisir de tout confier, choisir la confiance, comme Paul, c’est la certitude du rivage, et la certitude du salut pour tous, du matin pour tous.

 

 

                                                                                                                                       jp morley

Culte du 22mai 2011

 

Lectures :         Actes 26 et 27

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16 mars 2011 3 16 /03 /mars /2011 16:36

Béatitude 5 :

Heureux ceux qui ont pitié,

on aura pitié d’eux

  

La pitié, ce n'est pas vraiment la mode. Elle est pourtant au centre de notre Béatitude de ce jour. Mais plutôt considérée ringarde, je gage que cette cinquième Béatitude est la moins aimée, la plus vite lue et la plus vite oubliée des huit.

On n'aime plus la pitié, qui nous semble manquer de respect ; on n'aime pas la pitié, parce qu'on n'aimerait pas qu'on aie pitié de nous.

 

Et si nous avions tort ? Ne souhaitons-nous pas, discrètement mais profondément, que Dieu aie pitié de nous ? Et nous-mêmes, par exemple, n'avons-nous pas pitié de tous ces hommes et ces femmes brutalement tués par les polices libyenne ou yéménite, pitié aussi de leurs parents ou de leurs enfants ?

Au fond de nous, nous avons tous pitié. De celui-ci ou de celui-là, de ceci ou de cela, et même d'un chat écrasé au bord de l'autoroute... Tant mieux ! Parce que la promesse est là, dans les mots de Jésus, que la Bible Bayard traduit joliment ainsi : «  Joie des êtres compatissants, ils éveilleront la compassion ! »

Et c'est la seule des huit Béatitudes qui promet ce qu'elle demande : la pitié. Heureuxceux qui ont pitié, on aura pitié d'eux.

Mais sur quoi repose cette promesse d'un retour de la pitié éprouvée ? Sur une évidence :

penser aux autres autant qu'à soi, penser aux autres comme s'ils étaient soi, provoque presque toujours un retour.

Et nous comprenons qu'avec cette pitié, ce sentiment magnifique et nullement pitoyable, nous côtoyons le commandement d'amour : tu aimeras ton prochain comme toi-même, c'est-à-dire pas seulement autant que toi-même, mais en tant qu'il est toi-même. Tu éprouveras en toi ce que lui-même éprouve, comme si tu étais à sa place, comme Jésus l'a fait en venant habiter un corps et une vie humaine. Tu éprouveras ce que l'autre éprouve, tu te mettras à sa place, tu te sentiras à sa place, tu souffriras de ce qu'il souffre, sa douleur ou sa situation. Et c'est cela qui s'appelle pitié, ou compassion.

 

Exactement ce que Dieu a fait en Jésus.

Parce que la pitié, c'est précisément le sentiment de Dieu lui-même envers nous, quand ses entrailles se nouent pour son peuple ou pour chacun d'entre nous. En aucun cas un sentiment méprisable ni démodé... La pitié, c'est une vertu glorieuse !

C'est celle de Dieu.

C'est elle qu'implorent les psalmistes, de psaume en psaume.

C'est elle que Dieu éprouve chaque fois à nouveau dans le Premier Testament, et qui le fait revenir sur ses menaces de punition.

C'est elle qui s'installe au cœur du ministère de Jésus de Nazareth :

- les deux aveugles qui croisent Jésus, lui crient : « Aie pitié de nous, Fils de David », et Jésus est pris de pitié ;

- plus tard, l'aveugle Bartimée aura le même cri, et sera guéri ;

- les dix lépreux, eux aussi, s'écrient : « Jésus, Maître, aie pitié de nous ! » ;

- un autre lépreux s'approchera de lui avec foi, et Jésus sera rempli de pitié ;

- le père d'un jeune garçon épileptique demande à Jésus d'avoir pitié de son enfant, et Jésus lui répond ;

- la veuve qui vient de perdre son unique enfant ne demande rien, mais Jésus a pitié d'elle, s'approche, touche le cercueil, et l'enfant revit ;

- un collecteur d'impôts, qui se sait critiquable, s'adresse à Dieu lui-même, implorant sa pitié pour le pêcheur qu'il se sent être ; et il repart pacifié ;

- quand une Cananéenne sollicite sa pitié, Jésus aura pitié, et c'est elle qui lui montrera sans s'en douter qu'il est venu non seulement pour les Juifs, mais pour tous ;

- et quand la foule s'approche, avec toutes les maladies, les détresses et les infirmités qu'abrite une foule, le cœur de Jésus, rapporte Matthieu, se remplit de pitié ;

- ailleurs, quand une même foule a faim et que le soir tombe, à nouveau Jésus a pitié de tous ces hommes et ces femmes...

 

Une pitié au cœur du ministère de Jésus, qui est aussi au cœur de ses plus belles paraboles, quand le bon Samaritain ne fait rien d'autre, raconte Luc, qu'avoir pitié du voyageur blessé et détroussé ; ou quand le père du fils prodigue, en le voyant revenir, oublie son amertume parce qu'il est saisi de pitié. Une pitié qui s'exprime en joie, pas en commisération.

 

Enfin, il y a cette parabole merveilleuse : un homme puissant fait ses comptes. L'un de ses partenaires lui doit beaucoup, des millions. Qu'il ne peut payer. « Alors la prison ! » « Pitié, demande cet associé, j'ai femme et enfant, laisse-moi du temps, je paierai ». Et le puissant homme a pitié, et lui remet la totalité de sa dette.

Mais la parabole ne s'arrête pas là, car sitôt sorti, bien soulagé, cet associé croise un de ses propres débiteurs qui lui doit une centaine d'euros. « Rembourse-moi tout de suite, sinon la prison ! ». « Pitié, dit l'autre, j'ai femme et enfant, je te rembourserai tout ». Mais il ne veut rien entendre et l'envoie en prison.

Que fera le puissant homme, dès qu'il le saura ? Il convoquera son associé : « Mauvais sujet, ne devais-tu pas avoir pitié de ton compagnon, comme j'ai eu pitié de toi ? » Et il l'enverra cette fois en prison, jusqu'à ce qu'il ait tout payé jusqu'au dernier centime... L'homme puissant, c'est bien sûr Dieu et son pardon.

 

Ainsi la pitié est le sentiment même de Dieu envers nous. Pas de honte à en avoir, au contraire ! Mais la pitié que Dieu nous offre nous conduit à l'éprouver pour autrui. A défaut, si la pitié de Dieu envers nous ne circule pas vers autrui, elle se dissipe, et s'efface. Heureux ceux qui ont pitié, car on aura pitié d'eux.

Et sinon... ? Dieu nous punit ? Pas la peine : la punition, comme la récompense, se fait d'elle-même, comme si souvent.

Tout simplement parce que nous sommes perçus tels que nous sommes : comme on est, on est perçu ; et comme on est perçu, on est traité... Jésus ne fait qu'énoncer une vérité toute simple, vraie dans les deux sens :

Tu te comportes comme un chien ? Cela se voit. Et on n'aura guère d'affection ni de pitié pour toi.

Tu te comportes avec générosité ? Cela se voit. Tu seras aimé, et on aura pitié de toi.

Tu te crois juste, et n'as besoin ni de Dieu, ni des autres ? Dieu te laissera seul.

Tu te sais fragile, et tu as besoin de Dieu et des autres ? Dieu t'enveloppera de sa tendresse.

Car la promesse est bien double : si tu as pitié, Dieu, et d'autres, auront compassion et affection pour toi ; si tu n'as pas pitié... tu resteras seul.

 

Alors... laisse frémir, laisse grandir, laisse s'épanouir en toi la pitié, la belle et généreuse pitié envers autrui ; ce faisant tu laisseras ouverte la porte de ton jardin, pour qu'y pénètre la pitié de Dieu envers toi. Cette pitié de Dieu qui est notre seule assurance, la seule, pour cette vie comme pour l'autre. Et vous connaissez de plus rassurante promesse que celle de la pitié de Dieu ?

 

 

Mais arrivés à ce point, nous pouvons aussi, aujourd'hui, faire un détour par les Béatitudes formulées dans l'autre Evangile, celui de Luc. Et changer d'un coup d'univers. Et trouver soudain un objet pour notre pitié. En nous souvenant que Luc évoque, lui, les pauvres tout court, ceux qui ont faim ou qui pleurent. Et qu'il laisse Jésus s'écrier : « Malheur aux riches, à ceux qui sont dans l'abondance, à vous qui riez aujourd'hui ! ». Et soudain les siècles se télescopent, nous pensons à l'actualité de Tunisie, d'Egypte, de Libye, du Yémen.

Et nous relisons à cette lumière la suite du sermon de Jésus sur la montagne :

« Ne vous amassez pas de trésor sur la terre, où les vers et la rouille détruisent et où les voleurs fracturent. Car là où est ton trésor, là est ton cœur.

…Si ton œil est mauvais, tout ton corps sera dans les ténèbres.

…Personne ne peut être esclave de deux maîtres, vous ne pouvez être serviteurs de Dieu et de l'argent » Ou du pouvoir, aimerait-on ajouter.

 

Or, le mois dernier, nous avons emmené les pré-catéchumènes de cette paroisse visiter une mosquée, pour découvrir avec eux le vrai visage de l'Islam en France, nourri du Coran et de la prière. Un Islam qui condamne la violence, le fanatisme, le terrorisme et l'iniquité sociale, et prône la paix, le respect, la pitié, le dialogue, l'intériorité et le primat du cœur sur la pratique et le rite.

Depuis des années, une large partie des responsables chrétiens de ce pays, en particulier protestants, répètent que l'image de l'Islam donnée par les islamistes ne représente pas l'Islam réel, mais le dénature et le viole.

Et nous redisions que l'Islam est une grande religion, à la mystique admirable, mais une religion malade et souffrante de son décalage avec le siècle. D'où ses blocages, ses extrémismes et sa crispation sur le traitement des femmes. Mais que cela ne durerait pas, l'Islam se réformera, comme le Christianisme s'est réformé jadis, qu'il soit protestant ou catholique.

Eh bien, aujourd'hui, il semble que nous y assistions, plus tôt et plus brutalement que prévu. Ce qui se passe en ce moment n'est bien sûr pas religieux, mais n'aurait pas été possible s'il n'avait été précédé, accompagné et annonciateur d'un changement dans les mentalités religieuses des pays arabo-musulmans, un changement irréversible qui rejette les extrémismes religieux et appelle à un Islam pacifique, personnel, laïcisé.

On ne peut dire évidemment comment évolueront les choses, encore moins que tout va changer du jour au lendemain. Mais il est permis d'espérer qu'à terme plus rien ne sera comme avant dans ces Etats musulmans. Il est possible que nous assistions à un bouleversement aussi profond et général que la chute du mur de Berlin et l'effondrement du glacis soviétique il y a vingt ans.

L'histoire semble en route, et les Ben Ali, Moubarak, Kadhafi et autres ressemblent aux riches et rieurs, qui aujourd'hui pleurent. Peut-être bien qu'un horizon se dégage – se dégage seulement, mais irréversiblement – pour tous ceux qui dans ces pays ont faim, faim de biens et de sécurité, mais plus encore de respect, de liberté, de cette liberté de conscience et d'opinion qui nous est si chère et que nous devons à Luther et aux Réformateurs. Faim d'un Islam plus individuel, plus intérieur, laïcisé comme nous le sommes, ouvert et tolérant comme il a su l'être en d'autres temps. C'est en route !

 

Alors... compassion et admiration pour ces peuples debout qui, en réclamant dignité, respect, liberté de conscience et d'expression, foi personnelle et non contrainte, réclament ce que nos ancêtres ont eux aussi chèrement acquis, et ce que le Christ est venu promettre en affirmant sur la croix que chacun est accepté et aimé de Dieu, tel qu'il est.

Compassion pour toutes ces victimes d'une répression aveugle, folle et vaine, pour ces vies interrompues et ces familles brisées.

Compassion aussi, dans la joie de les voir tomber, pour ces tyrans qui tombent et leurs fidèles qui tuent, parce que le Christ est mort pour eux aussi, et sur la croix leur a promis un pardon que nous-mêmes n'avons sans doute pas le droit de donner.

Compassion. Pitié.

 

Et nous, ici, aujourd'hui ? Eh bien, souhaitons-nous d'être heureux, et pour cela de savoir avoir pitié et compassion, humilité de cœur, faim et soif de justice : Dieu aura pitié de nous.

Offrons cela à nos enfants : la force d'avoir pitié. La force d'être du bon côté des Béatitudes, celui des bêtement généreux. La Bible le promet à tous : alors ils seront heureux.

Et en ces jours, la promesse est magnifiquement plus large : alors le monde entier sera plus heureux.

 

Jean-paul Morley

    Culte du 27 février 2011

 

 

Lectures :       Matthieu 5 : 6, 7, 10

                        Luc 6 : 20-21, 24-25

                        Matthieu 18 : 23-27

 

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4 mars 2011 5 04 /03 /mars /2011 18:37

Mots clefs : Dieu, spiritualité

 

Voir Dieu.

Personne, bien sûr, ne l'a jamais vu. On ne peut voir Dieu. Dieu est esprit, Dieu est amour, Dieu est conscience, et tout cela est invisible. Dieu n'a pas de corps, qui se pourrait voir. Tout comme  le vent, dit un jour Jésus : tu ne le vois pas, mais tu l'entends, tu le sens sur ton visage et tu vois ses effets, qu'il soit petite brise ou vent violent. De même pour Dieu : on ne peut pas le voir, mais on peut l'entendre et voir ses effets...

 

Et voir Dieu serait même dangereux.

Dans le Premier Testament  de la Bible, c'est interdit.

Quand Moïse découvre le buisson ardent qui brûle sans brûler, et qu'il entend la voix de Dieu, il se détourne pour ne pas voir Dieu et en mourir.

Plus tard, devenu plus familier de Dieu, il demandera à Dieu de voir sa gloire, mais Dieu lui répond que non. « Tu ne pourras pas voir mon visage, car un être humain ne peut pas me voir sans mourir... »

De même, quand Gédéon le courageux comprend que l'homme en face de lui est un ange de Dieu, il craint de mourir.
Ou quand Dieu se présente au prophète Elie, non pas dans le tonnerre ou la foudre, mais dans un fin murmure, Elie s'enveloppe la tête dans son manteau, pour ne pas voir.

Ou quand Jacob lutte toute une nuit avec un homme, et comprend à l’aube que c'était un ange qui représentait Dieu, il s'écrie « J’ai vu Dieu en face, et j'ai eu la vie sauve ! »

Et même Pierre dans sa barque, quand Jésus lui fait faire une pêche miraculeuse au petit matin, effrayé il demande à Jésus de s'éloigner, parce qu’il est un homme impur...

 

Oui, Dieu est tellement immense, Il est une telle lumière, la Bible dit une telle gloire, que c'est un peu comme si on voulait s'approcher du soleil pour le regarder : on brûlerait, et nos yeux seraient les premiers à brûler et à fondre... Et Dieu, c'est 100 milliards de soleils ! Pas possible de le voir directement.

 

Mais on peut l'entendre. Et voir ses effets, son action. Un peu comme une vedette, un chanteur ou une actrice qu'on a toujours rêvé de voir en face, en chair et en os, sachant que c'est impossible, et puis un jour, sans s'y attendre, on la rencontre, elle est là. Un peu pareil avec Dieu : on sait qu'on ne peut le voir, mais un jour, sans s'y attendre, on découvre qu'on l'entend, qu'on peut lui parler, et on constate son action autour de nous.

           

Eh bien, à cette rencontre, peut-être pouvons-nous nous préparer.

Et c'est ce qu'a fait Moïse, sans doute sans le savoir. Quand il était jeune homme, élevé dans la maison du Pharaon, Moïse a voulu sauver son peuple en esclavage, assuré de sa position, de son éducation, de son énergie, sa force et son intelligence de jeune homme bien entraîné. En un mot, il était plein de lui-même, sûr de lui et un peu tout-     fou. Du coup, sa tentative a échoué, perdue dans le meurtre d'un contremaître égyptien.

Alors Moïse s'est enfui. Dans le désert, pendant 40 ans. Là, il adopte une vie simple et sobre, où il oublie le luxe de son enfance ; il devient berger. Une vie propice à la méditation, à la contemplation et au retour sur soi, une vie qui abandonne toute prétention et qui permet de se purifier et de se nettoyer de l'intérieur. Il est devenu prêt à être rencontré par Dieu. A le voir, en tous cas à l'entendre. Prêt à se mettre à son service pour délivrer son peuple, mais devenu si modeste qu'il ne se sent pas à la hauteur de la tâche. C'est alors que Dieu peut enfin agir en lui, qu'il lui apparaît et lui parle.

Moïse continuera de l'entendre, de le prier et de l'écouter, et finalement de le voir, puisque monté sur la montagne du Sinaï, au milieu du tonnerre et du feu, il recevra les 10 Paroles, les deux tables de la Loi de Dieu. Et quand il redescendra de la montagne pour la deuxième fois, et que le peuple comprendra que Dieu lui-même était au milieu du tonnerre et du feu, le peuple s'écrira émerveillé qu'il a vu la gloire de Dieu, entendu sa voix du milieu du feu, et compris qu'en ce jour ils ont vu que Dieu peut parler aux humains sans que ceux-ci meurent....

           

Mais sans doute Moïse avait-il maintenant un cœur pur.

Et... Qu'est-ce qu'un cœur pur ?

C'est peut-être simple : c'est le cœur de celui - ou celle - qui n'est pas le centre   de sa propre vie ; qui ne pense pas à lui mais d'abord aux autres, à ceux autour de lui, à l'humanité et au monde, à leur avenir, et cherche leur bien ;

le cœur de celui – ou celle – qui est prêt à passer après les autres, à partager et à donner spontanément, à aimer sans calcul ;

le cœur de celui qui est confiant, offert, transparent, qui ne cherche ni ne soupçonne le mal ;

celui qui voit le bon en chacune et en chacun, qui pardonne et qui sait que chacune et chacun peut être meilleur dès demain et même aujourd'hui ;

celui qui ne sait pas mentir, ni calculer, ni tricher, ni se défendre, ni contraindre, et qui d'ailleurs en aurait honte...

Comme quelqu’un me le disait, « Bienheureux les fêlés, ils laissent passer la lumière ! » c’est une assez bonne traduction de notre Béatitude !

 

Alors comment avoir un cœur pur ?

Chez certains, c'est naturel. Ils ou elles ont gardé leur cœur d'enfant, celui que leurs parents et la vie leur ont donné.

D'autres se le forment, comme Moïse. Par un patient travail sur soi-même. De réflexion, d'écoute, de lecture. La Bible par exemple, pas elle seule mais c'est une valeur sûre. D'ouverture. D'attention à autrui, à la vie, au bien et au beau. De prière bien sûr. S'habituer à la prière intérieure, s'habituer à s'imprégner d'écoute de Dieu, de familiarité avec Lui. Comme Jésus y incite dans la suite de ce sermon sur la montagne, quand il invite à une prière discrète, personnelle, intime, et à un jeûne joyeux, à une intimité avec Dieu qui ne se soucie pas d'apparence.

Ceux-là, c'est promis, voient Dieu et rayonnent de sa lumière. Alors que ceux qui prieraient ou jeûneraient pour être vus ne pourraient que développer leur ego, et donc réduire la place de Dieu, qui du coup s'éloigne ; ils ne le voient plus...

Mais ceux qui acceptent ce long et doux travail en eux-mêmes reçoivent un cœur qui reste ou devient pur. Confiant. Innocent. Transparent.

 

Une petite histoire pour illustrer : deux ermites se sont retirés au désert. Ils sont venus là pour prier, méditer, contempler, et s'entendent paisiblement entre eux. Un jour, l'un s’adresse à l’autre : « Tu sais, nous devrions nous disputer, comme font tous les gens, pour savoir ce que c'est.

- D'accord ! dit l’autre.

- Alors voilà : je vais aller prendre une brique, je la mettrai entre nous, et dirai «c'est à moi !» Et toi tu répondras « non, elle est à moi ! » C'est toujours comme cela que commencent les disputes.

- D'accord ! dit l’autre. »

Le premier va chercher une brique puis la pose entre eux. « Voilà : je mets la brique au milieu. Elle est à moi ! 

- Eh bien, dit l’autre, si elle est à toi, prends-la et va en paix ! »

 

Voilà, c'est cela les cœurs purs.

Et la promesse de Jésus serait qu'avec un cœur pur comme cela, on verrait Dieu ?

Pas physiquement, bien sûr. Mais ces cœurs purs l'entendent quand ils prient. Ils entendent ses réponses, ses apaisements, ses conseils, ses consolations ; les chemins qu'Il ouvre, qu'Il éclaire et qu'Il propose. Ils entendent son pardon. Son amitié. Les changements qu'Il opère avec douceur en eux-mêmes.

Et ils voient ce qu'Il fait, et pour eux la vie devient jalonnée jour après jour de miracles. De petits, quotidiens, qui éclosent en gentillesses inattendues, en générosités, en rencontres, en portes qui s'ouvrent, en situations qui          s'éclairent. Et aussi de grands miracles, des réconciliations, des guérisons, des retrouvailles, des succès, des fruits inespérables.

Mais il y a encore mieux que cela, et c'est la merveille : c'est que, quel que soit notre travail sur nous-mêmes, de toutes façons un cœur pur est toujours un don. Ainsi du prophète Esaïe, qui se croit perdu parce qu'il a une vision du Seigneur, mais dans sa vision, un ange s'approche de lui une braise à la main, avec laquelle il touche les lèvres d'Esaïe pour le purifier. Alors le prophète peut aller à la rencontre du peuple : dorénavant, il verra ses compatriotes avec les yeux de Dieu.

Elle est là, la merveille : ce qui est promis aux cœurs purs, c'est de voir Dieu, c'est à dire, de voir le monde et chacun avec les yeux de Dieu. Le même regard que Dieu. Ils voient le monde comme il est, avec ses violences, ses injustices, ses ténèbres ; mais ils le voient aussi comme il peut devenir, et comme il est déjà si souvent : généreux, solidaire, aimant, courageux, tourné vers un avenir plus fraternel à construire.

Ils voient chacun et chacune comme il est, avec ses faiblesses, ses travers, ses défaillances, ses lâchetés. Mais au lieu de le juger sur ce qu'il a de pire, ils voient déjà ce qu'il peut devenir et faire de meilleur, en droiture,          bonté, loyauté, tendresse, fidélité ; et ils ne le jugent que sur ce meilleur.

 

Les cœurs purs nous voient avec les mêmes yeux que Dieu, et nous disent : « Vous valez beaucoup plus que ce que vous pouvez avoir fait ou pensé de pire ; vous valez, pour moi, ce que vous avez ou pouvez faire de meilleur...  C'est cela votre vraie valeur ».

Et c'est pour cela que Dieu, le cœur pur de Dieu, peut se voir Lui-même en nous, et peut trouver tout naturel de se voir, Lui, Dieu, en nous !

 

                                                                                                   Amen

 

Jean-paul Morley

Culte du 6 février 2011

 

Lectures :      Matthieu 5 : 1, 6-8

                        Matthieu 6 : 5-8, 16-18

                        Exode  3  :   4-6

                        Deutéronome 5  : 23-25a

 

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7 février 2011 1 07 /02 /février /2011 12:45

 

Heureux les malheureux et les ratés, c'est eux qui gagneront le Ciel !

C'est un peu le résumé des Béatitudes.

Si je comprends bien, cela voudrait dire que les Eglises qui sont en désarrois ou en déclin, en perte de fidèles, de cotisants, de pasteurs, de ressources, de paroisses… sont heureuses, parce que leur bien, c’est le Royaume, qui est déjà leur !

Et c’est vrai, ce qu’elles vivent aujourd’hui vaut plus que leur avenir parfois incertain.

 

Mais nous, ici, nous nous sentons le devoir d’être savants, intelligents, avisés et responsables… Alors, pour nous savants très responsables, Frédéric Chavel et moi avons cru discerner deux messages pleins d’ironie de la part du Très-Haut.

D’abord lorsque Dieu finit par répondre à ce malheureux Job, et lui propose de venir bavarder avec Lui de la création de l’univers.

Ensuite avec la première des Béatitudes : «Heureux les pauvres en Esprit, car le Royaume des cieux est à eux».

 

On a parfois traduit «Heureux» par «Magnifiques», comme la Pléiade, ou même «En avant», comme André Chouraqui et Roger Parmentier, sauf erreur. Mais non, le terme est clair, makarios, il s'agit de bonheur, un bonheur chargé de tendresse, puisque c'est comme cela aussi que l'on dit «Mon cher, ma chère... »

 

Lisons donc   Job 38 : 1-3, 16-21, 36-38,

                        Matthieu 5 : 1-5 et 13, 14 et 15.    

             

* * *

 

Quelle cinglante réponse du créateur à Job !

Job se croyait sûr de lui, intelligent (c’était vrai) ; croyant (c’était vrai) ; droit (c’était vrai) ; légitime (cela semblait). Mais quand Dieu lui propose de venir discuter avec lui de la création et du fonctionnement du monde, ce malheureux Job se défait, ses théories et ses revendications dégringolent en poussière, et il tombe à genoux, définitivement brisé.

            « Je ne suis rien du tout. Que puis-je répondre ?

               Je me mets la main sur la bouche et je me tais. »

C’est alors que Dieu accueille sa prière, avec bienveillance, pour l’envelopper de sa tendresse et de sa protection.

Et c’est ainsi que Job illustre d’avance cette première Béatitude de Jésus, cette première phrase-choc, cette phrase-oxymore qui ouvre chez Matthieu le discours de Jésus :

  «Heureux les pauvres en esprit, le Royaume des Cieux est à eux»...

 

 

Jésus n’y parle pas des simples d'esprit, je veux dire les QI de 90, bien qu'il les inclue certainement. Il ne parle pas non plus de ceux qui manqueraient de Saint-Esprit, cela l'exclurait lui-même du Royaume.

Non, il parle de ceux qui sont simples en eux-mêmes, pas prétentieux ni prétendants, les sans orgueil ; la TOB propose de traduire joliment par «pauvres de cœur», pour souligner qu'il ne s'agit pas spécialement de l'intelligence, mais du cœur de la personne, de l'âme de la personne. ‘’Heureux les pauvres dans leur âme, car c'est seulement ainsi qu'elle est riche’’. Heureux ceux qui savent qu'ils reçoivent tout de Dieu, rien d'eux-mêmes. Nous, protestants, nous aimons appeler cela la grâce. Et c'est pour cela que nous aimons relire ces Béatitudes, qui font frétiller nos gènes.

Toutefois, heureux sommes-nous seulement, vous et moi, quand nous revenons sur terre et que nous reprenons conscience que c'est vrai : nous recevons tout de Dieu, et pas grand'chose de nous-mêmes. Tout de Dieu, très souvent à travers les autres, mais pas grand'chose de nous-mêmes. Et en particulier tout ce que nous donnons aux autres, et qui nous émerveille tellement, vient de Dieu, guère de nous.

Cela nous rend modestes, mais c’est aussi un soulagement.

 

La première leçon de cette première Béatitude est donc simple : elle nous rappelle que nous recevons. Tout, et donc que seuls sont heureux les pauvres en esprit, les pauvres dans leur âme, parce que, mendiants, ils laissent ainsi la place, toute la place pour recevoir. Ce n'est pas de la morale, c'est de la disponibilité.

Et déjà tout le salut est dit, la grâce est dite : Si tu te sens riche en esprit, en intelligence et en amour, tu es bien malheureux, car c'est quand tu te sais pauvre, indigent et impuissant en esprit, en intelligence, en force et en amour – et le Ciel sait comme c’est souvent le cas – que tu peux alors recevoir.

 Au passage, la 2ème leçon de cette première Béatitude, c'est que si tu  te crois riche en Saint-Esprit, et que tu t'en fais une arme, un pouvoir, un paravent ou une exigence envers autrui, tu es bien malheureux, non seulement parce que tu es un imposteur, mais parce que tu es nu. C'est seulement si tu es un mendiant de l'Esprit que tu peux recevoir. Et alors recevoir à l'infini. De l'amour. De la force. Du courage, de l'intelligence. De l'Esprit Saint. De la Grâce.

 

Et mieux encore : le Royaume des cieux est à toi.

Nouvelle énigme. Qu'est-ce que le Royaume ? Je ne sais pas si vous avez des lumières, mais il me semble que nous n'en savons rien, et que la Bible se garde bien de nous le préciser. C’est pourtant notre programme, à nous Eglise, le Royaume de Dieu...

Mais peut-être que nous n'avons pas besoin de le savoir.

Qu'il nous suffit de l'espérer.

Qu'il nous suffit de savoir qu'il ressemble à ce que nous espérons et cherchons à vivre, ensemble, pour cette humanité ; et de savoir que ce que nous espérons et cherchons à vivre ensemble pour cette humanité, ressemble déjà à ce Royaume. Ce Royaume dont nous savons une chose, c’est qu'il est déjà là, en train de grandir.

 

Et c'est peut-être pour cela que cette première Béatitude est la seule qui partage sa promesse avec une autre, la dernière : «Heureux ceux qui sont persécutés pour la justice, car le Royaume des Cieux est à eux».

Les Béatitudes sont ainsi enserrées, encadrées, enchâssées, entre cette double promesse du Royaume des Cieux, qui s'adresse aux pauvres en esprit, et aux persécutés pour la justice.

 

Sont-ce là les mêmes ? Sans doute. Sans doute les humbles sont-ils les cousins des persécutés. Sans doute les pauvres en esprit, les confiants, les sans orgueil, les disponibles, prêts à tout recevoir de Dieu, sont-ils amenés à devenir persécutés à cause de la justice, ou plutôt à cause de l'injustice. Mais, de là, à être amenés à inaugurer le Royaume des Cieux !

Parce que ce sont eux qui sont le sel de la terre et la lumière du monde ; et qu'ils ne le sont évidemment pas par leurs mérites ni leur vertu, ni leur brio d'esprit, mais par l'Esprit, qui peut œuvrer à travers eux précisément parce qu'ils ne prétendent pas en posséder eux-mêmes, mais qu'ils lui laissent et lui font une place en eux-mêmes.

Humilité. Silence. Prière. Abandon. Offrande de soi-même, mains ouvertes, en silence devant Dieu.

 

 

Une petite histoire, vraie, pour illustrer cette offrande et de cet abandon ? Vers la fin du XVIIIe siècle, en Amérique, les jeunes autorités américaines n'ont guère respecté leurs engagements envers les Indiens. Si bien, ou si mal, que ceux-ci n'hésitent pas à attaquer des villages de colons et à en massacrer les habitants. Un village de Quakers avait refusé de s'armer. Le dimanche matin, tout le village est rassemblé dans la salle commune pour le service religieux. Le chef de village se lève et lit un passage biblique, ce jour-là, c’est dans le livre du Deutéronome : « Le bien aimé du Seigneur demeure en sécurité auprès de son Dieu. Il le protège jour après jour et il demeure près de lui. » Puis il s’assied et tout le monde et médite ces paroles en silence. Si quelqu'un a quelque chose à dire au nom du Seigneur, il se lève et parle.

Ils sont tous là méditer lorsque des Indiens surgissent brutalement, peints en guerre et les armes à la main. Les quakers restent assis sans bouger. Lorsque les Indiens constatent que les hommes ne sont pas armés, ils baissent leurs propres armes. Le chef indien regarde l'assemblée immobile. Il fait un signe à ses hommes, qui vont s'asseoir sur les bancs à côté des villageois. Le service continue en silence. Au bout d'un moment, le chef du village se lève pour marquer la fin de la prière. Il se dirige vers le chef indien, le salue et l'invite à prendre le repas dans sa maison. A la fin du repas, le chef indien dit : « Nous étions venus pour vous tuer, mais lorsque nous sommes entrés dans votre maison de prière et que vous êtes restés en silence, nous avons attendu. Quand nous nous sommes assis à vos côtés, nous avons compris que vous adoriez le même Grand Esprit que nous. »

Offrande, confiance, abandon à Dieu... Passivité ? Que non ! Car Jésus poursuit les Béatitudes en provoquant aussitôt la foule : « Vous êtes le sel de la terre, si le sel perd sa saveur qui la lui rendra ? Vous êtes la lumière du monde, l'allume-t-on pour la mettre sous un seau ? »

 Et d'un seul coup, nous comprenons comment ces Béatitudes, belles mais à l'insaisissable mise en œuvre, peuvent se concrétiser ;

d'un seul coup nous comprenons que nous ne parlons plus seulement de nous individuellement, spirituellement, mais de nous collectivement, en tant que communauté croyante, en tant qu'Eglise, en tant que communauté des chrétiens, des pauvres en esprit face au monde.

Luc, dans son Evangile, le dit de façon presque violente, quand, dans sa version des Béatitudes, il parle des pauvres non pas en Esprit, mais pauvres tout court, et leur promet le Royaume. Il parle ainsi des pauvres matériellement, socialement. Et cela, ce n'est plus  nous... mais c'est notre responsabilité !

Et nous comprenons que notre responsabilité de sel et de lumière du monde, c'est de faire vivre ce Royaume promis, le faire vivre pour les pauvres en esprit et les pauvres tout court, le faire vivre aujourd'hui, parmi nous, autour de nous ; et demain, pour l'humanité entière. Au ciel. Et sur la terre. Cette terre dont les nouvelles de la semaine sont les deux otages français au Niger, tués ; 4 manifestants pacifiques en Algérie, tués ; des dizaines en Tunisie, tués ; un déséquilibré aux Etats-Unis, 6 morts, 19 blessés ; le premier anniversaire du tremblement de terre en Haïti, et si peu de fait ; le scandale du Médiator… C’est cela notre terre. Eh bien, notre responsabilité, c’est que ceux qui pleurent soient consolés, et que les doux reçoivent la terre en partage ! Pas seulement au ciel. Sur terre.

 

Alors voilà. Nous le savons.

Nous, les mendiants de Dieu, nous sommes en charge d'annoncer le Royaume des cieux, et déjà de le vivre concrètement. Il nous est promis.

Et donc d'êtres humbles, toujours en pauvreté, toujours en attente, toujours faisant place en soi, mais prêts, aussi, à risquer d'être persécutés. Comme ces Quakers. Prêts à prendre des risques, nous, vous, moi, en vue du Règne de Dieu.

Nous n'avons pas le droit de cacher ce que nous avons reçu, pas plus qu'une lumière allumée ne se met sous un seau.

Des risques pour l'Evangile, et pour le Royaume de Dieu, d'autres Eglises, en Irak, en Egypte, ailleurs, les prennent et les vivent quotidiennement, juste en témoignant de l'Evangile qu'elles ont reçu.

Mais nous, quels risques devrions-nous prendre, dans nos pays où les Eglises ne sont pas menacées ?

Peut-être, au moins, ne pas nous contenter de prêcher un Evangile ‘honnête’, c'est-à-dire qui accepte sans tabou les questions de la culture, de la science, de l’histoire et de la société, un Evangile qui vise l’excellence théologique et la défense de nos identités protestantes, comme nous le faisons déjà, mais.. qui ne bouleverse pas toujours les foules.

Et donc oser, nous, vous, moi, retrouver l’audace, la passion et la rupture radicale du Christ, telle qu’elle explose dans le Nouveau Testament !

Peut-être manquons-nous, dans notre prédication, notre liturgie, notre témoignage, comme dans nos stratégies et nos actes, de cette audace, ce culot, cette passion et évidemment ce courage du Christ. Peut-être pourrions-nous grimper avec un peu plus d'assurance sur le chandelier, pour que notre lumière inonde alentour, et que notre sel y donne saveur à la vie…

Moi qui suis tout petit devant vous, j’en suis loin moi-même, évidemment. Mais peut-être le vrai projet de notre Eglise unie est-il de retrouver un Evangile plus incisif, plus en rupture avec les valeurs qui nous entourent, plus bouleversant parce qu'il montrera à l'évidence que ce monde marche sur la tête, et que ceux-là seuls sont heureux, oui visiblement heureux, les pauvres en esprit, parce que le Royaume des cieux se voit en eux.

 

Et puis... Et puis ne nous inquiétons pas si ce la nous paraît difficile ou hors de portée, si parfois nous souffrons, si nous nous sentons souvent épuisés ou découragés, si nous nous sentons bien pauvres en esprit...

Ecoutez comment la Bible Bayard traduit cette première Béatitude :

« Joie de ceux qui sont à bout de souffle, le Royaume des cieux est à eux »

Oui, joie pour ceux qui n'en peuvent plus, la tendresse du Père les entoure et les porte déjà, comme elle a entouré Job, et cette tendresse-là est bien la promesse des Béatitudes, elle est dans le mot même qu'elles emploient, makarioi, « Heureux... ». Une tendresse qui viendra nous réchauffer et nous consoler, nous redonner courage si et quand nous en aurons besoin, en nous rappelant que ce n'est pas nous, mais l'Esprit, justement, le Sien, qui fait et qui conduit, et qui porte l'Evangile, et qui nous conduira tous dans le sein du Royaume.

 

Jean-paul Morley

Culte au Synode natioonal-Synode général luthéro-réformé

le 16 janvier 2011

 

                                                                          

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28 janvier 2011 5 28 /01 /janvier /2011 19:18


 

Cette nuit-là, un notable de Jérusalem se glisse par les ruelles étroites de la ville. Parvenu devant une maison simple, il frappe à la porte, entre. Il se cache. Il a peur. Il a peur des autres, de ses pairs, peur pour sa réputation, mais il veut voir et écouter ce Jésus. Ce qu’il a entendu de lui l’a touché, il pressent que quelque chose, là, transcende le quotidien et ses habitudes. Un peu comme on présente un enfant au baptême, parce qu’on pressent qu’il y a là quelque chose qui nous dépasse et ouvre sur une dimension plus vaste, même si soi-même on ne sait pas trop si on y croit.

Ce notable s’assied donc face à Jésus et commence par une parole de respect et de reconnaissance : « Maître, Rabbi, nous savons que tu viens de la part de Dieu, car personne, sans Lui, ne pourrait faire ce que tu fais. » Mais avant même que Nicodème, qui vient d’engager ses confrères avec lui, ait pu poser la question qui lui brûle les lèvres, Jésus y répond, et y répond à côté, car il en a l’habitude chez Jean.      

« Nul ne peut voir le Règne de Dieu s’il ne naît de nouveau. » Incompréhension de Nicodème, ce maître parmi les Juifs : comment naître de nouveau ? Pourtant Jésus a quand même bien répondu ; quelle que soit la question qui n’a pas été posée, aucune réponse rationnelle à des questions rationnelles concernant Dieu, ne peut être entendue si on ne fait pas un saut dans la foi. Si l’on ne naît pas de nouveau. Si l’on n’entre pas dans la logique de Dieu, de l’Esprit.

Même si l’on est un maître en Israël, on ne peut rien comprendre, et hélas rien recevoir, si l’on ne franchit pas un seuil, celui d’une vie dans l’Esprit. Et en le voyant venir de nuit, Jésus a déjà compris que Nicodème n’a pas fait ce saut, n’est pas né de nouveau, et ne peut donc discerner le Royaume de Dieu. Il le lui signifie d’emblée.

 

Mais revenons à aujourd’hui. Au début de cet été, nous avons eu la chance, Chantal et moi, de nous faire offrir commercialement un séjour d’une semaine en Turquie. Pays magnifique, habitants d’une gentillesse extrême, au-delà même de leur réputation, paysages et lumière à couper le souffle. Nous étions un groupe d’une quarantaine, de tous âges, qui ne se connaissaient pas auparavant. Dans le groupe, deux jeunes filles, deux jeunes femmes charmantes, intelligentes, sympathiques qui sont passées à côté du voyage. Dormant profondément et avec constance quand le car traversait des paysages splendides, optant pour une séance de SPA pendant les visites de lieux uniques, faisant la fête les soirées mais ne pouvant se lever matin pour une excursion superbe, préférant rester à la piscine de l’hôtel plutôt que de découvrir la vie comme elle se vit  ailleurs, autrement...

Alors, bien sûr sans juger, on se dit que c’est dommage, qu’elles ratent quand même quelque chose qui leur était offert là, à portée de main. Comme si ne comptait dans la vie que ce qui peut distraire et amuser, le fun.

 

Et on se dit qu’il est possible de faire de même avec toute sa vie. Qu’on peut passer à côté de la beauté de la vie… Tout en cherchant, légitimement, à être heureux, à se faire plaisir, à réussir, on peut passer à côté de ce qui est vraiment beau, de ce que peut vraiment offrir la vie, de ce qui rend vraiment heureux et libre.

Les mêmes jeunes femmes, dès la moitié du séjour, commençaient d’ailleurs à se plaindre de la qualité des hôtels — dont nous étions ravis — et râlaient contre l’organisation ou le guide, alors que tout cela était gratuit, superbe et parfaitement organisé. Alors on ne peut s’empêcher de faire un parallèle plus large et de se dire qu’on peut n’être jamais content de sa vie, alors que le monde est beau et que la vie a été reçue gratuitement.

 

Chacun, par exemple, souhaite en présentant son enfant au baptême, que Dieu le protège et qu’il soit heureux.

Mais Dieu offre beaucoup plus que cela.

Dieu offre de vivre une vie beaucoup mieux que protégée et heureuse, il offre de vivre une vie qui serve à quelque chose, une vie intense, forte, agissante, une vie qui a du sens et un but, une vie qui fasse se réaliser notre propre humanité : la nôtre et l’humanité entière. Parce que c’est ainsi, seulement ainsi, que la vie sera heureuse. Que la vie de nos enfants sera heureuse.

On sait déjà, même si le courage manque parfois, qu’on ne peut être heureux qu’en se donnant à fond dans ce qu’on fait et vit, quoi que ce soit. Le ‘’Ça ira aussi bien comme ça” ne rend jamais heureux. Tandis que faire au mieux en y croyant, rend heureux. Pendant et après. 

Mais si en outre ce que nous faisons et ce que nous vivons prend du sens en s’inscrivant dans un horizon plus large que soi, alors la vie devient passionnante et pleine de retours, qui, en termes croyants, s’appelle des ‘bénédictions’.

C’est cela que Dieu offre. Non pas qu’il donne : qu’il offre. Là est le point crucial : c’est à nous de vouloir et de saisir cette vie-là. Ce n’est pas Lui, ce n’est pas à Lui, de la distribuer comme ça au hasard, ou à la demande. C’est à nous de la vouloir, de la saisir et de la recevoir.

Il l’offre…

 

Et c’est cela, la nouvelle naissance dont Jésus parle à Nicodème : changer de dimension, agrandir notre horizon, se saisir de cette vie offerte plusieurs crans au-dessus — pas des crans matériels ou de prestige, des crans en intensité et en poids. Jésus, nous dit-on est venu sur terre pour sauver le monde. Vous entendez cela, cette nouvelle énorme : sauver le monde ! Et Il nous offre de naître de nouveau pour participer à cela, à sauver le monde avec Lui, puisqu’Il ne le fera qu’avec nous.

Alors, on comprend que Simone Weill, la philosophe, suggérait de ne demander à Dieu, dans la prière, que de nous faire faire et vivre ce dont Lui avait besoin dans son projet pour la Création. Et quant au reste, tout le reste, de le laisser faire et choisir à notre sujet selon ce qui Lui convenait, richesse ou pauvreté, positif ou négatif.

Puis d’aimer ce que nous vivions, bon ou mauvais, puisque c’est Dieu qui le propose pour le bien de la Création. Ne lui demander que de servir ses projets, mais rien pour notre confort, notre plaisir ou notre sécurité. Et que là se trouvait le véritable bonheur…

Et c’est bien cela, que sans en avoir l’air, propose le baptême !

 

C’est cela que Nicodème peine à saisir. Et on le comprend. Cela paraît absurde et sinistre, se sacrifier pour on ne sait quelle utopie. Mais non ! C’est une formidable nouvelle. Etre libéré de soi, de ses inquiétudes, de ses regrets, ses ambitions ou ses peurs, pour vivre plus grand que soi, plus haut que soi.

C’est cela que, peut-être sans l’avoir tout-à-fait mesuré, les parents décident d’enclencher en décidant de baptiser leur enfant.

 

J’ajourerai un mot annexe, même s’il paraît saugrenu en ce beau matin d’été, parce que je n’ai pu m’empêcher d’y songer dimanche dernier.

Dimanche dernier, 22h30, il fait chaud. Nous sommes chez nous, à peine rentrés de vacances. Soudain, un cri d’effroi, suivi d’un choc métallique violent : au carrefour Rennes-Raspail, une voiture vient de couper la route à un scooter. Ses deux passagers, un homme et une femme, pas des gamins, gisent sur la chaussé et ne se relèvent pas. Vite, on prévient les pompiers, qui ne tardent pas. Ils resteront plus de ¾ d’heure pour de premiers soins intensifs, avant d’amener vers un hôpital les deux malheureux, en mauvais état.

Bien sûr, je n’ai pas de nouvelles depuis. Mais… cela arrive vite. Et il est bon de le redire : la vie est fragile et précieuse. La santé est précieuse. Alors faites attention à vous. Faites attention à vos vies, faites attention à celle des autres. Que chacun, chacune, fasse attention à lui-même ou à elle-même. Nous sommes précieux. On a besoin de nous. Dieu a besoin de nous, pour le salut du monde. C’est cela aussi le baptême : se confier, confier son enfant à Dieu, pour qu’il nous chuchote à l’oreille, quand il y a besoin : ‘’Là, ici, prends garde à toi ou à autrui…”

 

Mais le baptême, c’est aussi l’entrée dans cette ‘condition nouvelle’ dont parle Paul dans sa lettre aux Galates. Condition nouvelle parce que ce baptême, qui nous lie par la foi au Christ, à sa croix et à sa résurrection, nous fait entrer dans cette vie plus forte et plus intense, cette vie ‘plus’ ; c’est même la symbolique du baptême, qui en figurant notre noyade et notre résurrection, figure notre nouvelle naissance. Désormais nous vivons avec Dieu, pour sauver le monde, rien de moins.

Alors, dans cette perspective du Règne de Dieu, toutes les autres différences s’estompent : nous participons à une seule humanité, sans qu’il n’y ait plus ni homme, ni femme, ni Juif, ni Grec, ni esclave, ni libre, ni Français, ni Japonais, parce que tout cela n’importe plus à la lumière de la vie en Christ. Cette lumière, cette vie et cette condition qui nous sont offertes, mais qu’il appartient à chacun de nous de saisir. La vouloir, la saisir, la recevoir.

 

Mais il y suffit d’être un enfant…

Aux adultes qui voulaient empêcher les enfants de l’approcher, Jésus répond : « Laissez-les venir à moi, car le royaume des cieux est pour ceux qui leur ressemblent. Si vous n’accueillez pas le Règne de Dieu comme un enfant, vous n’y entrerez jamais. » Accueillir  ce que Dieu offre et ce que Dieu donne, comme un enfant… Avec innocence, naïveté, crédulité, envie. Et découvrir, en l’accueillant, que ce pari et ce Dieu ne sont pas trompeurs, que ce qu’il nous offre est vrai, ces choses si simples, trop simples, mais sans prix que sont la lumière, l’amour, la paix intérieure, le courage malgré tout, la tendresse toujours.

 

La Bible ne dit pas comment ni dans quel esprit Nicodème est reparti, cette nuit-là à travers les ruelles. Mais plus tard, il prendra le risque de défendre seul, même timidement, Jésus devant le haut clergé juif et les autres chefs des Pharisiens, ses pairs. Et il sera là quelques jours plus tard, pour enterrer Jésus dignement, se désolidarisant ainsi de ses pairs, pour reconnaître que l’Esprit de Dieu, en animant cet homme-là, s’était approché de lui-même et d’eux tous.

L’Esprit de Dieu, qui s’approche de chacun de nous, et qui nous tend la main à chacun et chacune, pour nous offrir une vraie vie, une nouvelle naissance, et nous emmener beaucoup plus loin que nous ne pensions.

 

 

 

Jean-paul Morley

Culte  du 29 août 2010

 

Lectures :    Marc 10 : 13-16 ;

                     Jean 3 :1-8 ;

                     Galates 3 : 26-29

 

 

Mots clefs : baptême, conversion

 

 

 

 

 

 

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